Caricature de Dieu dans le film Persépolis
La diffusion du film Persépolis en Tunisie, dont une scène représente Dieu, a provoqué des manifestations à Tunis. En Algérie, on se souvient de 1989 et de la guerre civile.
- Ce film n'aurait pas pu être diffusé dans un autre pays de la
région. On a cru pendant des années que l'islamisme avait disparu de
Tunisie, mais il était juste étouffé par la dictature. Or, les
mouvements salafistes sont une lame de fond qui va de l'Indonésie au
Maroc.
Bien que le parti tunisien Ennahda, qui a condamné les
manifestations, souhaite être l'équivalent de l'AKP au pouvoir en
Turquie qui allie laïcité et islam, des mouvements extrémistes ont
réussi à galvaniser des dizaines de milliers de personnes, qui
n'attendaient qu'un prétexte pour s'exprimer. Si on peut estimer qu'il y
a au maximum 3.000 salafistes, tous courants confondus en Tunisie, leur
poids et leur capacité à rassembler fait peur. Il est également
important de noter que de nombreuses femmes ont participé aux
manifestations.
La presse algérienne fait les gros titres de cet événement qui se limite à la Tunisie. Pourquoi une telle inquiétude ?
- L'Algérie est très inquiète de la montée des islamistes en Libye.
Elle craint une "afghanisation" du conflit. Si la guerre ne finit pas,
il y a un risque que la région soit complètement déstabilisée, jusqu'au
Maroc. Et la Tunisie est le maillon faible. L'Algérie finance le parti
au pouvoir, afin de sécuriser au maximum le pays. Mais comme me l'a
confié le ministre de la Communication, l'inquiétude vient de
l'instrumentalisation des Tunisiens par les islamistes libyens. Un des
problèmes est que les frontières ont été dessinées de manière totalement
arbitraire. Si bien que les mêmes tribus vivent dans les deux pays. Si
l'une s'enflamme, la ligne administrative n'arrêtera pas la contagion.
Or, le spectre de 1989 hante toujours les esprits algériens. L'arrivée
du multipartisme et la montée des islamistes avait entraîné une guerre
civile qui a fait 150.000 morts et des milliers de disparus dans les
deux camps.
Les islamistes sont-ils toujours très présent en Algérie ?
- L'islam fait partie de la culture maghrébine. Les islamistes ne
s'affichent dans les quartiers populaires. Toutefois, à Alger, le nombre
de "barbus" a diminué. Ce qui est le plus marquant est la
réappropriation de la culture algérienne. Les gens portent de nouveau
les vêtements traditionnels - Djellaba ou Jebba tunisienne. La mode des
tenues venues des pays du Golfe, qui financent les salafistes à coup de
pétrodollars, recule.
La jeunesse d'Alger découvre ces tensions et les souvenirs encore
brûlants de la guerre civile. Mais on note un dégoût pour la politique
et les islamistes. Les jeunes commencent enfin à revivre dans Alger,
même s'il reste un terrorisme résiduel. Bref, ces grandes manifestations
du voisin tunisien effraient aussi bien les dirigeants que les hommes
de la rue. Le spectre de 1989 est toujours bien présent.
Farid Aïchoun - Le Nouvel Observateur
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