Après 1988, lorsque l'Algérie s'est engagée dans la voie
démocratique, par le pluralisme politique et les élections libres, les
islamistes ont largement gagné. Par deux fois, aux municipales (1990) et au
premier tour des législatives (1991-92). C'était le prix de la démocratie, mais
que les vaincus ne voulaient pas payer. Les vaincus, c'est-à-dire le pouvoir
encore en place, bien que vacillant, et l'opposition non islamiste, démocrates
et progressistes en tête, qui se sont alliés et se sont mobilisés contre les
vainqueurs, c'est-à-dire contre le Fis. Inutile d'argumenter pour les uns
contre les autres, on ne refait pas l'histoire. Les faits sont là. Très vite,
le combat politique s'est discrédité et c'est à la violence que fut délégué le
soin de départager les adversaires, qui vont par conséquent devenir les
«ennemis». Le cauchemar a commencé pour tous les Algériens, qui va durer une
décennie entière avec, à la clef, des dizaines de milliers de morts et une
régression multiforme. Car le prix de la démocratie, il faut le payer d'une
manière ou d'une autre, que l'on avance ou que l'on recule. Mais jusqu'où
faut-il encore continuer à payer ? La question se pose dramatiquement à mesure
que l'aspiration à une paix «coûte que coûte» devient impérieuse. Au final, les
tenants de la «réconciliation nationale», version pouvoir - il en existait une
autre, version opposition, portée par le
Ffs - l'ont emporté sur les éradicateurs (progressistes, démocrates et
individualités diverses regroupés derrière une autre partie du pouvoir composée
notamment de quelques officiers supérieurs) et dont la cohérence était loin
d'être la vertu cardinale. Ici aussi, inutile d'argumenter en faveur ou en
défaveur de qui que ce soit, les passions humaines étant ce qu'elles sont. Nous
vivons depuis lors une autre décennie, celle de cette réconciliation qu'incarne, même si elle n'est pas
entièrement de son fait, Bouteflika. Elle signifie que, la démocratie remisée,
le nationalisme était de retour, à peine relooké. Le mal est préférable au
pire, dit-on ; voilà ce à quoi a abouti notre malheureuse expérience. Mais les
mêmes causes ne provoquent-elles pas les mêmes effets, le destin naturel du mal
n'est-il pas d'empirer ? Derrière le mot d'ordre «tout sauf la démocratie»,
l'actuel pouvoir a su bâtir, par delà la personnalité propre de son chef (dont
j'ai décrit, dans un ouvrage paru en 2004, toutes les «qualités» pour ce
boulot), un système stable fait d'oublis et d'illusions, grâce en particulier à
la manne pétrolière. Nous avons gagné la paix par la peur, peut-on affirmer
aujourd'hui. Par le renoncement, voire le reniement. Certains diront par la
lucidité et la sagesse. L'heure des bilans viendra. Mais de nouvelles
générations sont à l'œuvre pour lesquelles, heureusement, les «acquis» dont se
gargarisent nos dirigeants, à juste titre parfois, ne sont que pure propagande.
Car en vertu de quoi ces générations nouvelles doivent-elles aujourd'hui
réparer les erreurs des anciennes, qu'elles soient au pouvoir ou dans
l'opposition ? Pourquoi les écouteraient-elles, tenteraient-elles de les
comprendre, les suivraient-elles ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire