Les Coptes
représentent 10% de la population égyptienne, sur les 80 millions
d'Egyptiens, en majorité musulmans. Si les incidents entre les deux
communautés religieuses se poursuivent et s'aggravent, le constat
sera bientôt celui de l'impossible cohabitation. Une carte à jouer
pour la «bienveillante» communauté internationale?
Le Premier
ministre égyptien Issam Charaf a appelé, hier, à une réunion
d'urgence du gouvernement au lendemain des affrontements entre
chrétiens coptes et forces de l'ordre qui ont fait 24 morts au
Caire. Au total, au moins 40 personnes ont été arrêtées dans la nuit
à la suite des heurts qui ont aussi fait plus de 200 blessés, selon
plusieurs agences de presse qui citent des responsables de la
sécurité, sans pour autant préciser combien étaient musulmans ou
chrétiens.
Ces violences, les
plus meurtrières depuis la révolte qui a renversé le président Hosni
Moubarak en février, ont eu lieu en marge d'une manifestation de
coptes protestant contre l'incendie d'une église.
Dans la nuit, le
Premier ministre avait appelé chrétiens et musulmans «à la retenue»
et à ne pas céder aux «appels à la sédition». «Ce qui se passe, ce
ne sont pas des affrontements entre musulmans et chrétiens, ce sont
des tentatives de provoquer le chaos et la sédition», avait dit
Issam Charaf sur sa page officielle sur Facebook.
Dans des
déclarations rapportées par l'agence officielle MENA, M. Charaf
avait par ailleurs évoqué un «complot pour éloigner l'Egypte des
élections», en allusion aux premières législatives depuis le départ
de M. Moubarak doivent avoir lieu à partir du 28 novembre.
Dans la nuit du
dimanche à lundi, le Premier ministre, le visage sombre, est
intervenu par le biais de la télévision publique pour dire que
«l'Egypte était en danger». «La nation est en danger suite à ces
évènements», a-t-il dit dans son allocution. «Ces évènements nous
ont ramenés en arrière (...) au lieu d'aller de l'avant pour
construire un Etat moderne sur des bases démocratiques saines»,
a-t-il ajouté.
Hier également, et
dans un climat d'inquiétude générale, l'armée égyptienne, qui dirige
le pays depuis la démission de Hosni Moubarak en février, a chargé
le gouvernement d'enquêter rapidement sur ces incidents.
Le ministre de la
Justice, Mohamed Abdel Aziz el Gouïndi, a déclaré que l'enquête et
les éventuels procès seraient dirigés par des tribunaux militaires.
Les médias d'Etat ont fait état de plusieurs dizaines
d'arrestations.
Une commission
d'enquête sera mise sur pied pour déterminer ce qui s'est passé et
prendre «les mesures légales à l'encontre de toute personne dont
l'implication sera prouvée dans les évènements, que ce soit par la
participation ou par l'incitation», a indiqué l'armée dans un
communiqué lu à la télévision publique.
Ce communiqué a
été diffusé à l'issue d'une réunion de crise du Conseil suprême des
forces armées (CSFA), tenue hier matin. Le CSFA, dirigé par le
maréchal Hussein Tantaoui, a tenu à souligner qu'il continue d'
«assumer la responsabilité nationale de protéger le peuple après la
révolution du 25 janvier» qui a fait partir M. Moubarak, et ce
jusqu'à ce que l'armée remette le pouvoir à une autorité civile
élue.
L'armée estime que
les affrontements sont dus «aux efforts de certains pour détruire
les piliers de l'Etat et semer le chaos», et assure que l'armée
prendra les mesures nécessaires pour rétablir la situation
sécuritaire.
Rappelons qu'après
la mort de 24 personnes dimanche dans des affrontements opposant des
manifestants coptes aux forces de l'ordre dans le centre du Caire,
un couvre-feu a été décrété dans le centre de la capitale de 2
heures à 7 heures du matin pour tenter de rétablir le calme et la
sécurité a été renforcée autour du Parlement, du siège du conseil
des ministres et du musée archéologique du Caire.
Outre
l'aggravation des incidents entre Coptes et musulmans, l'on
enregistre aussi une hausse de leur fréquence. Mardi dernier, des
centaines de Coptes avaient déjà manifesté pour protester contre
l'incendie d'une église, dans le gouvernorat d'Assouan, et réclamer
le limogeage du gouverneur.
L'Armée sous
pression
Déjà soupçonnée de
vouloir intervenir dans le procès de Moubarak afin d'en sauver
l'honneur, ou ce qu'il en reste, le Conseil suprême des forces
armées est aujourd'hui rendu pleinement responsable par certaines
parties de réveiller la question confessionnelle qui, elle, risque
de peser lourdement sur le devenir politique d'une Egypte en
transition. Selon plusieurs blogers et sur Facebook, de nombreuses
associations coptes, ont accusé l'Armée d'avoir envoyé des véhicules
blindés de transport de troupes pour disperser un rassemblement près
du siège de la télévision publique. Sur des images vidéos diffusées
sur internet, on peut voir des corps mutilés après avoir été, selon
des protestataires, écrasés par les véhicules militaires.
Le ministère de la
Santé d'abord a fait état de 24 morts et 272 blessés, dont 253
hospitalisés. Les médias publics ont par la suite porté le bilan à
25 morts. Des violences ont encore éclaté durant la nuit aux abords
de l'établissement hospitalier.
Dans a journée
d'hier, la télévision publique a diffusé des images d'une réunion
entre le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, chef du CSFA, et
d'autres généraux.
Des chrétiens et
des musulmans assurent que la colère exprimée dans les rues dimanche
n'était pas tant dirigée contre l'une ou l'autre confession mais
bien contre l'armée. Les militaires sont en outre vivement critiqués
par des chefs de file de la révolution pour l'absence de calendrier
clair de transfert du pouvoir.
Des élections
législatives sont prévues en plusieurs étapes à partir du 28
novembre et jusqu'en mars. Une nouvelle Constitution devra ensuite
être rédigée avant la tenue d'une élection présidentielle dont la
date n'a pas été annoncée. Ces délais conduisent certains en Egypte
à soupçonner l'armée de vouloir conserver le pouvoir plus longtemps
que nécessaire. De son coté, Amr Moussa, candidat déclaré à la
présidentielle, a annoncé que plusieurs organisations politiques
devaient se réunir hier soir, pour évoquer les violences de la
veille. Il a dit, dans une déclaration à la presse, que ces
incidents ne devaient pas entraîner de report des élections.
Mais d'ores et
déjà, les grandes puissances ont réagi et notamment les pays
occidentaux qui ont exprimé leur inquiétude. L'ambassade des
Etats-Unis au Caire a invité «toutes les parties au calme» tandis
que les ministres européens des Affaires étrangères ont réclamé le
respect de la liberté de culte et du calendrier électoral. Mais il
va sans dire que plus la question va rebondir et s'aggraver, plus
les capitales occidentales, pressées par leurs opinions et le
Vatican, seront portées à se mêler de la situation en Egypte.
Depuis la
partition forcée du Soudan - en deux pays, l'un musulman, l'autre
chrétien -, le vent des révoltes arabes et la chute de dictateurs
donnés pour indéboulonnables, voire même voués à léguer leur pouvoir
à leur descendance, plus personne n'ose dire où va le pays arabe et,
plus encore, où va chaque pays arabe. L'émergence de la question
confessionnelle en Egypte, avec une violence inouïe, risque d'avoir
des conséquences incalculables du le pays. Le Liban, pays qui fut
culturellement le plus prospère d'entre le monde arabe, a déjà
connu, sans que personne ait pu le prévoir, 16 ans de guerre civile
et 10 de convalescence pour seulement commencer à panser ses
blessures. Que dire d'un scénario similaire en Egypte, pays
stratégiquement important et d'une démographie beaucoup plus grande
?
La navrante et
inquiétante situation en Egypte l'est d'autant plus que personne ne
sait exactement comment on en est arrivé là et comment la question
des Coptes, qui n'a jamais été un problème en Egypte, est devenue
une menace pour l'unité du pays. Dans un contexte où l'Egypte vit
une phase de tension, après l'effondrement des institutions du
pouvoir et la chute du régime Moubarak, sinon du chef du régime, il
est clair que des parties que l'on peut mettre dans la case de la
contre-révolution ont tout intérêt à ce que le pays sombre dans le
chaos plutôt que de voir la société réussir à construire sa propre
alternative. Aujourd'hui, en Egypte, il y a un conflit ouvert entre
les islamistes et les laïcs, ensuite entre les islamistes eux-mêmes,
sans compter les doutes quant à la volonté des militaires de
réellement quitter le pouvoir avant d'avoir installé un nouveau
système qui garantirait leur main mise durable sur le pays. A tout
cela, vient s'ajouter la question copte, avec les revendications
d'une communauté chrétienne qui, avec la fin du régime, entend enfin
obtenir une reconnaissance que l'ancien régime lui a toujours
refusée. Serait-ce la goutte qui fera déborder le vase ?
Par Nabil
Benali
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire