lundi 10 octobre 2011

Transition incertaine et violences interconfessionnelles : L'Egypte s'enfonce dans la crise

Les Coptes représentent 10% de la population égyptienne, sur les 80 millions d'Egyptiens, en majorité musulmans. Si les incidents entre les deux communautés religieuses se poursuivent  et s'aggravent, le constat sera bientôt celui de l'impossible cohabitation. Une carte à jouer pour la «bienveillante» communauté internationale?
Le Premier ministre égyptien Issam Charaf a appelé, hier, à une réunion d'urgence du gouvernement au lendemain des affrontements entre chrétiens coptes et forces de l'ordre qui ont fait 24 morts au Caire. Au total, au moins 40 personnes ont été arrêtées dans la nuit à la suite des heurts qui ont aussi fait plus de 200 blessés, selon plusieurs agences de presse qui citent des responsables de la sécurité, sans pour autant préciser combien étaient musulmans ou chrétiens.

Ces violences, les plus meurtrières depuis la révolte qui a renversé le président Hosni Moubarak en février, ont eu lieu en marge d'une manifestation de coptes protestant contre l'incendie d'une église.
Dans la nuit, le Premier ministre avait appelé chrétiens et musulmans «à la retenue» et à ne pas céder aux «appels à la sédition». «Ce qui se passe,  ce ne sont pas des affrontements entre musulmans et chrétiens, ce sont des tentatives de provoquer le chaos et la sédition», avait dit Issam Charaf sur sa page officielle sur Facebook.
Dans des déclarations rapportées par l'agence officielle MENA, M. Charaf avait par ailleurs évoqué un «complot pour éloigner l'Egypte des élections», en allusion aux premières législatives depuis le départ de M. Moubarak doivent avoir lieu à partir du 28 novembre.
Dans la nuit du dimanche à lundi, le Premier ministre, le visage sombre, est intervenu par le biais de la télévision publique pour dire que «l'Egypte était en danger». «La nation est en danger suite à ces évènements», a-t-il dit dans son allocution. «Ces évènements nous ont ramenés en arrière (...) au lieu d'aller de l'avant pour construire un Etat moderne sur des bases démocratiques saines», a-t-il ajouté.
Hier également, et dans un climat d'inquiétude générale, l'armée égyptienne, qui dirige le pays depuis la démission de Hosni Moubarak en février, a chargé le gouvernement d'enquêter rapidement sur ces incidents.
Le ministre de la Justice, Mohamed Abdel Aziz el Gouïndi, a déclaré que l'enquête et les éventuels procès seraient dirigés par des tribunaux militaires. Les médias d'Etat ont fait état de plusieurs dizaines d'arrestations.
Une commission d'enquête sera mise sur pied pour déterminer ce qui s'est passé et prendre «les mesures légales à l'encontre de toute personne dont l'implication sera prouvée dans les évènements, que ce soit par la participation ou par l'incitation», a indiqué l'armée dans un communiqué lu à la télévision publique.
Ce communiqué a été diffusé à l'issue d'une réunion de crise du Conseil suprême des forces armées (CSFA), tenue hier matin. Le CSFA, dirigé par le maréchal Hussein Tantaoui, a tenu à souligner qu'il continue d' «assumer la responsabilité nationale de protéger le peuple après la révolution du 25 janvier» qui a fait partir M. Moubarak, et ce jusqu'à ce que l'armée remette le pouvoir à une autorité civile élue.
L'armée estime que les affrontements sont dus «aux efforts de certains pour détruire les piliers de l'Etat et semer le chaos», et assure que l'armée prendra les mesures nécessaires pour rétablir la situation sécuritaire.
Rappelons qu'après la mort de 24 personnes dimanche dans des affrontements opposant des manifestants coptes aux forces de l'ordre dans le centre du Caire, un couvre-feu a été décrété dans le centre de la capitale de 2 heures à 7 heures du matin pour tenter de rétablir le calme et la sécurité a été renforcée autour du Parlement, du siège du conseil des ministres et du musée archéologique du Caire.
Outre l'aggravation des incidents entre Coptes et musulmans, l'on enregistre aussi une hausse de leur fréquence. Mardi dernier, des centaines de Coptes avaient déjà manifesté pour protester contre l'incendie d'une église, dans le gouvernorat d'Assouan, et réclamer le limogeage du gouverneur.
L'Armée sous pression
Déjà soupçonnée de vouloir intervenir dans le procès de Moubarak afin d'en sauver l'honneur, ou ce qu'il en reste, le Conseil suprême des forces armées est aujourd'hui rendu pleinement responsable par certaines parties de réveiller la question confessionnelle qui, elle, risque de peser lourdement sur le devenir politique d'une Egypte en transition.  Selon plusieurs blogers et sur Facebook, de nombreuses associations coptes, ont accusé l'Armée d'avoir envoyé des véhicules blindés de transport de troupes pour disperser un rassemblement près du siège de la télévision publique. Sur des images vidéos diffusées sur internet, on peut voir des corps mutilés après avoir été, selon des protestataires, écrasés par les véhicules militaires.
Le ministère de la Santé d'abord a fait état de 24 morts et 272 blessés, dont 253 hospitalisés. Les médias publics ont par la suite porté le bilan à 25 morts. Des violences ont encore éclaté durant la nuit aux abords de l'établissement hospitalier.
Dans a journée d'hier, la télévision publique a diffusé des images d'une réunion entre le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, chef du CSFA, et d'autres généraux.
Des chrétiens et des musulmans assurent que la colère exprimée dans les rues dimanche n'était pas tant dirigée contre l'une ou l'autre confession mais bien contre l'armée. Les militaires sont en outre vivement critiqués par des chefs de file de la révolution pour l'absence de calendrier clair de transfert du pouvoir.
Des élections législatives sont prévues en plusieurs étapes à partir du 28 novembre et jusqu'en mars. Une nouvelle Constitution devra ensuite être rédigée avant la tenue d'une élection présidentielle dont la date n'a pas été annoncée. Ces délais conduisent certains en Egypte à soupçonner l'armée de vouloir conserver le pouvoir plus longtemps que nécessaire. De son coté, Amr Moussa, candidat déclaré à la présidentielle, a annoncé que plusieurs organisations politiques devaient se réunir hier soir, pour évoquer les violences de la veille. Il a dit, dans une déclaration à la presse, que ces incidents ne devaient pas entraîner de report des élections.
Mais d'ores et déjà, les grandes puissances ont réagi et notamment les pays occidentaux qui ont exprimé leur inquiétude. L'ambassade des Etats-Unis au Caire a invité «toutes les parties au calme» tandis que les ministres européens des Affaires étrangères ont réclamé le respect de la liberté de culte et du calendrier électoral. Mais il va sans dire que plus la question va rebondir et s'aggraver, plus les capitales occidentales, pressées par leurs opinions et le Vatican, seront portées à se mêler de la situation en Egypte.
Depuis la partition forcée du Soudan - en deux pays, l'un musulman, l'autre chrétien -, le vent des révoltes arabes et la chute de dictateurs donnés pour indéboulonnables, voire même voués à léguer leur pouvoir à leur descendance, plus personne n'ose dire où va le pays arabe et, plus encore, où va chaque pays arabe. L'émergence de la question confessionnelle en Egypte, avec une violence inouïe, risque d'avoir des conséquences incalculables du le pays. Le Liban, pays qui fut culturellement le plus prospère d'entre le monde arabe, a déjà connu, sans que personne ait pu le prévoir, 16 ans de guerre civile et 10 de convalescence pour seulement commencer à panser ses blessures. Que dire d'un scénario similaire en Egypte, pays stratégiquement important et d'une démographie beaucoup plus grande ?
La navrante et inquiétante situation en Egypte l'est d'autant plus que personne ne sait exactement comment on en est arrivé là et comment la question des Coptes, qui n'a jamais été un problème en Egypte, est devenue une menace pour l'unité du pays. Dans un contexte où l'Egypte vit une phase de tension, après l'effondrement des institutions du pouvoir et la chute du régime Moubarak, sinon du chef du régime, il est clair que des parties que l'on peut mettre dans la case de la contre-révolution ont tout intérêt à ce que le pays sombre dans le chaos plutôt que de voir la société réussir à construire sa propre alternative. Aujourd'hui, en Egypte, il y a un conflit ouvert entre les islamistes et les laïcs, ensuite entre les islamistes eux-mêmes, sans compter les doutes quant à la volonté des militaires de réellement quitter le pouvoir avant d'avoir installé un nouveau système qui garantirait leur main mise durable sur le pays. A tout cela, vient s'ajouter la question copte, avec les revendications d'une communauté chrétienne qui, avec la fin du régime, entend enfin obtenir une reconnaissance que l'ancien régime lui a toujours refusée. Serait-ce la goutte qui fera déborder le vase ?
Par Nabil Benali

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