A l'aube du 50ème anniversaire de l'indépendance algérienne, la France ne semble pas la mieux placée pour donner des leçons d'histoire, notamment aux Turcs sur l'Arménie.
Et le passé colonial de la France alors? C’est la question que des
millions d’Africains, et notamment d’Algériens, vont très certainement
poser en apprenant que le président français Nicolas Sarkozy vient de demander à la Turquie, d’aucuns diront qu’il vient de la sommer, de reconnaître le génocide arménien de 1915-1916.
«La
Turquie, qui est un grand pays, s'honorerait à revisiter son histoire
comme d'autres grands pays dans le monde l'ont fait, l'Allemagne, la
France. On est toujours plus fort quand on regarde son histoire et le
négationnisme n'est pas acceptable», a ainsi déclaré le locataire
du Palais de l’Elysée après avoir rendu hommage, avec son homologue
arménien Serge Sarkissian, aux victimes du massacre perpétré par les
troupes ottomanes.
Les Algériens grincent des dents
En Algérie, où l’on n’a toujours pas digéré la fameuse loi sur le rôle positif de la colonisation de 2005
(abrogée depuis), cette sortie électoraliste du président français à
l’approche du scrutin présidentiel de 2012 (la communauté arménienne
compte près de 500.000 membres) fait d’ores et déjà grincer des dents. «De
quoi se mêle-t-il? Il se croit le roi du monde? Peut-être que c’est sa
"victoire" en Libye qui lui a fait prendre la grosse tête» ironise
un éditorialiste algérois interrogé par SlateAfrique. Ce dernier
rappelle que rien n’est encore réglé entre la France et l’Algérie à
propos de la question mémorielle. Pour un diplomate algérien longtemps
en poste à Paris, «Sarkozy a opposé une fin de non-recevoir aux
demandes algériennes de voir officiellement condamnée la période
coloniale. Et voilà qu’il va faire la leçon aux Turcs. Pourquoi ne la
fait-il pas à son ami David Cameron puisque la Grande-Bretagne refuse
toujours d’employer le terme de génocide?»
L’hommage (pourtant très prudent) rendu récemment par Nicolas Sarkozy
aux harkis de France mais aussi la multiplication d’initiatives plus ou
moins autonomes de l’UMP (le parti de Sarkozy) pour rendre hommage aux
anciens membres de l’Armée organisation secrète (OAS), ont beaucoup
irrité les autorités algériennes.
«Il y avait un accord tacite. L’Algérie devait remiser ses exigences d’excuses officielles voire de réparation financière tandis que la France devait cesser de nous provoquer en glorifiant une période terrible pour le peuple algérien. Quand Sarkozy se mêle d’une question qui concerne d’abord la Turquie et l’Arménie, il prend le risque de réveiller la colère des Algériens», poursuit le diplomate.
Dans
un contexte électoral français tendu, la perspective des célébrations
du cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne en juillet
prochain pourrait donc aviver les tensions bilatérales et provoquer de
nouvelles polémiques mémorielles.
On ne touche pas au héros Erdogan
«J’attends avec impatience la réaction turque»
s’esclaffe de son côté un homme d’affaires franco-algérien. C’est que,
dans l’affaire, l’Algérie se retrouve presque de force au centre du bras
de fer récurrent entre Paris et Ankara au sujet du génocide arménien.
En effet, à chaque initiative française concernant les massacres de
1915-1916, une grande partie de la classe politique turque ressort le
thème de l’Algérie coloniale. Ainsi, en octobre 2006, un projet de loi
français, rédigé par des parlementaires socialistes, entendait
criminaliser la négation du génocide arménien. Cette initiative, reprise
à son compte par le candidat Sarkozy en 2007, a alors provoqué la
fureur du parlement turc lequel a répliqué en élaborant un projet de loi qualifiant les massacres subis par les Algériens pendant toute la périodecoloniale de «génocide»
qui seront assorties de mesures de prison pour ceux qui en nieraient la
réalité. Notons au passage qu’aucun des deux textes n’a été adopté pour
le moment mais la presse algérienne a largement salué l’initiative
turque et exigé du président Bouteflika qu’il soutienne officiellement
la position turque sur la question arménienne.
Par ailleurs, la
mise en cause régulière de la Turquie par Nicolas Sarkozy, adversaire
déclaré de l’entrée de ce pays dans l’Union européenne, risque de peser
dans les relations entre la France et une bonne partie du monde arabe.
Comme l’explique encore le diplomate algérien,
«La France a peut-être fait tomber le régime de Kadhafi mais au Maghreb comme dans nombre de pays du Proche-Orient, Egypte comprise, le véritable héros s’appelle Erdogan».
En clair, en provoquant les Turcs, sans être sûr d’en retirer un avantage électoral décisif comme le montre la réaction mitigée des associations arméniennes de France, Nicolas Sarkozy risque de s’aliéner une bonne partie des opinions publiques arabes désormais fascinées par le «modèle turc».
Akram Belkaïd
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire