Il en faut
beaucoup pour que les Américains descendent dans la rue : deux guerres
désastreuses, huit ans de George Bush n'ont pas suffi. Pour leur donner
le ras-le-bol, il a fallu y ajouter une crise économique qui n'en finit
plus et un chômage catastrophique.
Les Indignés de Wall Street ne sont pas contre le gouvernement, mais
pour un gouvernement responsable. Ils accusent, avec raison, Démocrates
et Républicains de protéger le grand capital au détriment de la classe
moyenne. Le mouvement qui a commencé le mois dernier en face de la
Bourse de New York se propage maintenant à travers les États-Unis pour
atteindre Los Angeles et Anchorage, en Alaska. Les retraités, les
licenciés, les chômeurs, les universitaires et les syndicats le
rejoignent. Ils sont le pendant rationnel et lucide du Tea Party lancé
en 2009, lui aussi, dans une réaction populiste contre le sauvetage des
grandes banques et de l'industrie automobile.
Les Indignés affirment qu'Obama est un mou qui a eu peur de sévir
contre les patrons de Wall Street qui ont créé de toutes pièces la crise
la crise financière de 2008. Comme il a lui-même ouvert la porte de son
cabinet à des hommes de Wall Street, il lui est difficile de sévir
contre leurs copains.
Pour mémoire, le portrait des trois principaux salauds qui ont non
seulement provoqué criminellement la crise de 2008, mais qui en ont tiré
des gains personnels mirobolants :
— Dick Fuld, le PDG de Lehman Brothers. Le magazine financier
Barron's l'appelait « Monsieur Wall Street ». Fuld a conduit Lehman
Brothers à la plus grande faillite de l'histoire américaine par
surendettement et en prenant des risques excessifs sur des titres
hypothécaires sans valeur. Lui et Lehman Brothers sont pénalement
responsables de la crise financière qui a coûté 700 milliards de dollars
aux contribuables américains. Fuld a obtenu 250 millions de
compensations pour son travail. Et n'a jamais été accusé d'aucun crime.
— Joe Cassano, PDG de AIG a misé 500 milliards de dollars sur des
«credit-default swaps »(CDS), assurant des hypothèques subprimes sans
valeur. Lorsque la crise financière a frappé, AIG a été incapable de
payer et a dû être renflouée avec 170 milliards de dollars du
gouvernement des États-Unis. Cassano a démissionné de son poste à AIG en
mars 2008, empochant 280 millions de dollars en espèces et une somme
supplémentaire de 34 millions en prime de rendement!| Cassano n'a été
inculpé d'aucun méfait, et reste un homme libre.
— Classé second sur la liste de Condé Nast des pires PDG américains
de tous les temps, Angelo Mozilo a supervisé l'expansion extraordinaire
de son entreprise, Countrywide dans les prêts subprimes. Il a autorisé
des pratiques commerciales trompeuses pour inciter des millions
d'acheteurs à acquérir des maisons inabordables à des taux hypothécaires
variables. Mozilo a été inculpé en 2009 de délit d'initié et de fraude
en valeurs mobilières. Il a accepté de payer 67,5 millions de dollars
d'amendes dans une entente à l'amiable. Il a non seulement évité un
procès, mais il n'a pas été obligé de reconnaître de malversation et a
obtenu qu'aucune autre accusation criminelle ne soit portée contre lui
dans cette affaire. Il n'a payé en amende que 10 % environ de sa fortune
évaluée à plus de 600 millions.
Le système de compensation des dirigeants de Wall Street récompensait
les risques sans pénaliser les mauvaises décisions. Cela a permis à
l'avidité débridée des maîtres de Wall Street de se manifester dans
toute son impudence.
En dernière analyse, ce qui est en cause dans la déconfiture
économique actuelle des États-Unis c'est la philosophie conservatrice
américaine qui, depuis Ronald Reagan, a une foi aveugle dans le libre
marché et la déréglementation à tout prix. Curieusement malgré le
désastre incontestable qu'elle provoque chez nos voisins, elle a ses
adeptes chez nous.
Par Normand Lester |
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