WADI DINAR, Libye (AP) — La lassitude gagne les combattants de la
révolution libyenne restés combattre à Bani Walid, l'un des derniers
bastions des fidèles de Moammar Kadhafi. Confrontés à une résistance
farouche, de plus en plus de volontaires quittent le front, découragés
par la désorganisation et le manque de munitions dans leurs propres
rangs.
Plusieurs semaines après la chute de Tripoli, Bani Walid, à environ
140km au sud-est de la capitale, reste imprenable. Les forces du Conseil
national de transition (CNT) se sont heurtées aux défenses naturelles
de cette ville de 100.000 habitants, située en travers d'une vallée
montagneuse. Mais depuis près d'un mois, le siège a surtout confirmé le
désarroi des troupes révolutionnaires, qui mêlent des militaires
relativement organisés et des légions de volontaires sous-entraînés.
Les forces du CNT ont déjà abandonné Bani Walid pour se concentrer
sur Syrte, la ville natale du Guide, sur la côte méditerranéenne, et
d'autres fiefs des pro-Kadhafi plus au sud, comme Sabha dans le désert.
Ces derniers jours, même des volontaires qui étaient restés à Bani
Walid ont commencé à céder au découragement. Mohammed Andar, un ancien
policier de 35 ans, a décidé de rentrer chez lui à Zaouia après avoir
reçu un éclat d'obus dans la jambe lors d'une embuscade. Il a été
transporté à l'hôpital mercredi, le jour même du premier anniversaire de
la naissance de ses jumeaux. Ses blessures ne sont pas assez graves
pour l'éloigner du front, mais il estime que ça ne sert à rien de
reprendre le combat.
"Ce serait un honneur pour mes enfants que leur père finisse en
martyr, mais pas de cette façon chaotique et mal organisée", dénonce ce
combattant qui se repose pour l'heure à un poste de contrôle des forces
révolutionnaires installé à 45km au nord de Bani Walid.
Pour entrer à Bani Walid depuis le nord-ouest, depuis Tripoli, les
combattants révolutionnaires doivent traverser une vallée très
encaissée, de quelque 400 mètres de profondeur, qui divise la ville. Les
fidèles de Kadhafi postés en hauteur font pleuvoir des roquettes, obus
de mortier et bombes à fragmentation sur les combattants qui tentent
d'approcher.
"On a été choqués par la puissance de la résistance qu'on a
rencontrée", avoue à l'Associated Press Oussama el-Fassi, un commandant à
Bani Walid. Ses troupes n'y étaient pas préparées, dit-il, accusant le
commandement militaire du CNT de ne pas leur avoir fourni les munitions,
les armes et les commandants nécessaires pour lancer une vraie
offensive sur la ville. "Bani Walid est remplie de toutes les ordures de
Libye et nous n'avons même pas d'armes lourdes pour les affronter".
Vendredi, les chefs de sa brigade, les Martyrs du 28-Mai, ont décidé
d'abandonner officiellement le front nord et de déplacer leur base vers
le front sud, où le terrain est plus facile.
Cinq chars russes datant des années 70, saisis lors de la chute de
Tripoli, ont rejoint la semaine dernière les positions des forces
révolutionnaires à Wadi Dinar, au nord de Bani Walid. Mais ces blindés
ont besoin de maintenance et pour l'heure ils n'ont pas bougé. Les
combattants passent leur journée à s'y prélasser, à se prendre en photo
dessus avec leur téléphone portable ou s'en servent pour étendre leur
linge...
"Est-ce que vous arrivez à croire que je suis entré sur la ligne de
front avec seulement un chargeur pour ma Kalachnikov", demande Hassan
Abdelkader, un autre combattant venu de Zaouia, à l'est de Tripoli. "On
se sent très démoralisés et frustrés. Où sont le conseil militaire avec
ses chefs et les munitions et les renforts? On nous a laissés nous
battre tous seuls ici".
"Il y a tant de combattants et nous ne pouvons pas communiquer avec
chacun d'entre eux", reconnaît un chef militaire du CNT, Daw Salihine.
"C'est une révolution... Forcément, ça peut être chaotique".
Mais le manque de munitions est fatal pour les combattants de Bani
Walid, explique Mohammed Andar. Privés de commandement, plusieurs
d'entre eux ont tenté mercredi d'avancer dans la ville et d'entrer dans
le centre par des chemins détournés. Mais les dix véhicules de la petite
expédition se sont faits surprendre par une embuscade des fidèles de
Kadhafi, équipés d'armes lourdes, qui ont tué huit combattants d'après
le Dr Alaa Chafori, médecin dans un hôpital de campagne.
"On s'est retrouvés à court de munitions parce qu'on pensait juste
partir en éclaireurs", explique Abdel-Salam Genouna qui avait préparé
l'attaque. "On a de la chance que beaucoup d'entre nous aient survécu".
"Je veux mourir pour la Libye et pour la liberté, pas pour ce genre de
désastre", résume Bassam Tourki, un combattant de 33 ans, rentré à
Tripoli.
En comparaison, à Syrte, les forces révolutionnaires, confrontées
aussi à une forte résistance, semblent mieux organisées. Mais les
combattants de Bani Walid ont aussi pâti du manque de soutien des
populations locales fidèles à l'ancien régime, note Mohammed Andar,
l'ancien policier. "Dans toutes les villes que nous avons libérées, la
population s'est soulevée pour nous aider, sauf à Bani Walid".
D'après Fathi Kirchadz, un commandant sur le terrain, les rangs des
forces révolutionnaires à Bani Walid ont été désertés car les
combattants locaux avaient peur pour leurs familles. Oussama el-Fassi
assure en effet que les forces fidèles à Kadhafi ont écrit son nom et
ceux d'autres combattants sur une liste d'hommes à abattre et qu'ils
s'en prennent à leurs familles.
Les combattants n'ont pas les moyens de tenir des positions à
l'intérieur de la ville et ne peuvent pas protéger les familles qui
hissent le drapeau révolutionnaire. Selon Oussama el-Fassi, des sources
dans Bani Walid lui ont rapporté que 15 civils avaient été tués lors de
raids depuis vendredi. Il se sent responsable. "Ces familles ont fêté
notre arrivée et on les a laissé mourir". AP
via nouvelle OBS
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