L’équipe de campagne du candidat socialiste François Hollande a créé, à côté d’un conseil politique, des pôles thématiques parmi lesquels celui consacré à l’immigration et à l’intégration dont fait partie Hacen Boukhelifa, avocat à Paris et à Marseille et professeur de droit des étrangers, en qualité d’expert.
-Quel sera votre rôle au sein de ce pôle
immigration-intégration du candidat socialiste François Hollande ?
Quelles seront vos propositions ?
Comme d’autres experts qui vont alimenter ce pôle, mon rôle est
d’apporter, d’ici janvier au plus tard, un certain nombre de
propositions concrètes à François Hollande pour une réforme globale du
droit des étrangers lui-même, à savoir le code d’entrée et de séjour des
étrangers en France (l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui a été modifiée
à plusieurs reprises). Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était ministre de
l’Intérieur, avait décidé d’unifier l’ensemble des textes de loi dans le
code d’entrée et de séjour des étrangers en France, en vigueur depuis
le 24 juillet 2006, mais celui-ci tend à un durcissement croissant des
conditions d’entrée et de séjour en France.
Ce code ne concerne pas les Algériens, lesquels sont soumis, depuis
1968, à une convention bilatérale dont la dernière modification a eu
lieu le 11 juillet 2001. Ma première mission c’est de réformer d’une
manière globale le code d’entrée et de séjour des étrangers en France en
réaffirmant que la France c’est le pays des droits de l’homme, et que
nous devons respecter la dignité des étrangers présents sur le
territoire français. Par ailleurs, lorsqu’un refus de séjour leur est
opposé, les étrangers en situation irrégulière doivent être raccompagnés
dignement dans leur pays d’origine, et surtout ne pas être stigmatisés.
L’une des premières réformes que j’ai proposées, elle est symbolique,
mais combien importante, concerne les conditions d’accueil des étrangers
dans les préfectures et sous-préfectures, il est inadmissible que pour,
soit une première demande de carte de séjour, soit pour un examen de
situation administrative ou pour un renouvellement d’un simple récépissé
de demande de carte, les étrangers n’aient pas de rendez-vous fixe,
soient obligés de faire la queue, la veille, la nuit, dans le froid ou
sous la pluie, pour qu’à 8 heures du matin, on distribue une centaine de
tickets et qu’on dise aux autres de repartir chez eux. Je suis
praticien du droit des étrangers et je sais très bien comment dans
certaines préfectures et sous-préfectures on accueille les étrangers.
Nous voulons donner, par circulaire certainement, à toutes les
préfectures et sous-préfectures, des moyens de recevoir dignement les
étrangers et surtout en uniformisant le droit des étrangers dans la
mesure où malgré les textes de loi, malgré les règlements, l’accueil des
étrangers et même la pratique elle-même du droit n’étaient pas
appliqués d’une manière uniforme dans toutes les préfectures.
-Y a-t-il trop d’immigrés en France ?
Absolument pas. François Hollande a très bien compris que toutes ces
déclarations auxquelles on assiste, depuis un an, sont faites sciemment
par le ministre de l’Intérieur et de l’Immigration certainement sur
ordre du président de la République dans le seul but de stigmatiser ces
étrangers et obtenir les voix de la frange la plus extrême de
l’électorat de droite. Il y a un certain nombre de statistiques,
notamment de l’INSEE, sur la nécessité d’avoir dans certains secteurs
d’activité une main-d’œuvre étrangère. Par la circulaire du mois d’août
dernier, Claude Guéant a limité l’activité salariée des étrangers sur le
territoire français par la suppression de 16 métiers sur les 30 qui
leur étaient ouverts.
C’est une circulaire que je qualifie de honteuse, dans la mesure où on
sait très bien qu’elle ne concerne en rien les étrangers qui font des
demandes de visa d’installation pour pouvoir travailler sur le
territoire français et dont le nombre est à peine de 20 000 entrées sur
le territoire français chaque année, mais elle concerne plutôt des
étrangers qui sont déjà sur le territoire français, la plupart en
situation irrégulière et dont certains secteurs sont en demande
croissante d’activité salariée. Cette circulaire est inefficiente et on a
bien compris dans le pôle immigration-intégration du candidat François
Hollande, que cette mesure est une goutte d’eau qui cible l’activité
salariée de ces étrangers pour masquer l’océan du chômage de masse.
-Les faux et fraudes sont-ils très répandus parmi les étrangers ?
Il y a un certain nombre de problèmes sur lesquels on va se pencher
dans le pôle immigration pour apporter des solutions concrètes, et là où
on va surtout mettre le doigt, c’est sur ces marchands de sommeil, tous
ces chefs d’entreprise qui profitent de la dureté des circulaires sur
le droit du travail des étrangers. En vérité, cela se retourne contre
Claude Guéant lui-même puisque cela permet à certains chefs d’entreprise
en France de ne pas déclarer leurs salariés étrangers en situation
irrégulière, de faire des fraudes aux cotisations sociales.
-Toutes ces mesures annoncées par le ministre de l’Intérieur concernent-elles les Algériens ?
-Toutes ces mesures annoncées par le ministre de l’Intérieur concernent-elles les Algériens ?
Elles ne les concernent pas officiellement, les Algériens étant soumis à
la convention bilatérale du 27 décembre 1968, modifiée le 11 juillet
2001. Lorsque Claude Guéant s’exprime, il ne cible pas une nationalité
en particulier, sauf lorsqu’il a désigné les Comoriens qui n’ont jamais
eu de problème d’intégration malgré ce qu’il dit, à Marseille. Vu le
passé entre la France et l’Algérie et les liens unissant les deux pays,
il ne peut pas prendre la responsabilité d’avoir des propos diffamants
et racistes envers les Algériens. Cela étant, j’ai l’intime conviction
que Claude Guéant, lorsqu’il s’exprime sur les étrangers, vise en
particulier les ressortissants maghrébins et même les Français d’origine
maghrébine.
Mais en l’état actuel des choses, les réformes, les règlements qui ont
été pris dernièrement ne s’adressent pas directement aux Algériens,
hormis le cas de la circulaire du 31 mai 2011 qui concerne la
restriction du changement de statut pour les étudiants étrangers. Cette
circulaire va rendre quasiment impossible le changement de statut pour
ceux qui ont fait de hautes études sur le territoire français et les
amener, une fois qu’ils ont eu leurs diplômes, à immigrer vers le
Canada, les Etats-Unis, puisque la France les forme, mais leur refuse le
droit, alors qu’ils ont un contrat à durée indéterminée de travail sur
le territoire français. D’ailleurs, le sociologue français d’origine
algérienne El Yamine Soum, auteur du livre La France que nous voulons
pointe du doigt cette problématique qui fait que la France est à la
traîne dans ces questions et ce, par pure idéologie conservatrice
électoraliste.
-Les Algériens rencontrent-ils des problèmes particuliers ?
-Les Algériens rencontrent-ils des problèmes particuliers ?
Le problème qui me remonte le plus est celui ayant trait au visa de
court séjour et à une restriction des visas d’installation, tout au
moins des délais qui sont insupportables. L’une des mesures que nous
prendrons, c’est en tout cas ma proposition sera de desserrer l’étau des
visas d’affaires, d’installation, mais également des visas
touristiques, avec la garantie d’un retour dont nous examinerons les
mécanismes à mettre en œuvre pour ce faire. Il n’est pas question que
l’on accepte qu’il y ait un détournement du visa de court séjour en vue
de s’installer durablement sur le territoire français.
-Si François Hollande est élu en mai 2012, la gauche reviendra-t-elle sur les mesures restrictives prises par le gouvernement de Nicolas Sarkozy ?
-Si François Hollande est élu en mai 2012, la gauche reviendra-t-elle sur les mesures restrictives prises par le gouvernement de Nicolas Sarkozy ?
Je vais pousser dans le pôle immigration-intégration pour qu’il y ait
l’abrogation de la circulaire du 31 mai 2011 concernant les étudiants,
l’abrogation de la circulaire de août 2011 concernant le travail salarié
avec la réduction des métiers ouverts aux immigrés, et pour qu’on
puisse permettre en matière de nationalité française un accès plus large
à tous les étrangers qui résident en France depuis plus de cinq ans.
-L’Etat algérien a-t-il intérêt à conserver la convention bilatérale ou à s’aligner sur le droit commun ? L’accord de 1968 continue-t-il à être favorable aux Algériens ?
-L’Etat algérien a-t-il intérêt à conserver la convention bilatérale ou à s’aligner sur le droit commun ? L’accord de 1968 continue-t-il à être favorable aux Algériens ?
La convention bilatérale franco-algérienne est complètement obsolète.
-Elle a pourtant été révisée…
Sa révision remonte à 2001. A mon sens, les Algériens n’ont pas intérêt
à s’arc-bouter à une convention qui est aujourd’hui en deçà du droit
commun, qui est dépassée, dans la mesure où un certain nombre de textes
de droit commun, notamment le code d’entrée et de séjour des étrangers
qui, dans certaines situations, sont beaucoup plus favorables aux autres
étrangers que pour les ressortissants algériens. J’en veux pour preuve
l’exemple de la carte de séjour «compétences et talent» - émanant de la
loi du 24 juillet 2006 – qui ne s’applique pas aux ressortissants
algériens dans la mesure où la convention bilatérale a été réformée en
2001. L’idéal serait soit qu’il y ait une réforme de cette convention
bilatérale et qu’elle reprenne le droit commun, soit - et c’est une de
mes propositions – qu’il y ait des négociations avec les Algériens pour
rendre caduque cette convention.
-Il y a eu des séances de travail entre experts français et algériens l’année dernière, notamment…
Des travaux qui sont suspendus. L’intérêt de la France c’est d’avoir
des relations de franchise, de respect et de véritable coopération avec
le partenaire algérien dans la mesure où il y a des liens indéniables
entre les deux pays, où une communauté algérienne importante vit en
France, des Français d’origine algérienne, et surtout de ne pas faire de
cette question du droit des étrangers un alibi pour ne pas s’entendre
sur ce qui doit être réformé. Il faut qu’on arrive à une réforme de
cette convention dans l’intérêt de la France, mais aussi de l’Algérie et
de ses ressortissants.
-Si l’Algérie adhérait au droit commun qu’en serait-il des spécificités algériennes et de l’héritage des Accords d’Evian ?
Les acquis des Accords d’Evian se sont amoindris. La spécificité de la
convention bilatérale issue des Accords d’Evian n’a plus aucune
efficacité, les gouvernements français successifs ont promulgué un
certain nombre de textes qui font que les ressortissants algériens
soient aujourd’hui sous le droit commun, y compris pour la question de
la nationalité française. Il faut qu’il y ait une réunion d’experts dès
le début de la législature de François Hollande et que tout soit mis sur
la table. Si les partenaires algériens souhaitent un certain nombre de
spécificités qui découlent des accords d’Evian, elles devront être
examinées, mais la négociation doit reposer sur l’intérêt de chacune des
parties.
-En cas de victoire en 2012, la gauche demanderait-elle aux Français la réciprocité en matière de droit de séjour ?
Nous n’avons pas encore discuté cette question. Il est grand temps –
après cinquante ans d’indépendance de l’Algérie - qu’il y ait entre la
France et l’Algérie des relations de respect et de confiance mutuels et
de réciprocité. Nous devons aujourd’hui avoir un partenariat sérieux,
d’égal à égal, dans tous les domaines. D’une manière générale, la
convention bilatérale c’est du droit international et l’une des bases du
droit international c’est la réciprocité. Personnellement, je lutte
depuis tant d’années, pour que nous ayons des relations avec l’Algérie
telles que la France les a créées avec l’Allemagne. De mon point de vue
il est grand temps de tourner la page en termes de spécificités.
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