mardi 20 décembre 2011

Les aveux de Moh Clichy-matricule 121

«C'est pour la première fois dans l'histoire des peuples qui luttent pour leur indépendance, que le colonisé porte la guerre sur le sol du colonisateur. Le colonialisme, ce mauvais élève, n'apprend pas ses leçons» (général Vo Nguyen Giap).

Dans son avertissement au lecteur, au début de son livre : «Cinquantenaire du 17 octobre 1961 à Paris», Mohammed Ghafir, restitue dans une sorte de profession de foi faisant référence à un verset de Sourate «El Baqara» (la génisse» du Saint Coran qui édicte le témoignage, une des pages les plus glorieuses d'un peuple qui a fait l'événement au cœur du XXé siècle. L'auteur de cette épopée historico-mémorielle espère, ne pas lasser le lecteur par la redondance, chose qu'il a admirablement, réussie. La trame narrative, dénuée de l'intrigue dont seule la fin, généralement, dénoue les écheveaux, puisque le commun des mortels sait comment s'est conclu le drame colonial algérien, coule telle l'eau limpide et sereine d'une source. Guenzet des Béni Yala, berceau de l'auteur, n'évoque-t-elle pas l'eau que l'on a découverte ici ? Rien d'étonnant aussi que Si Ghafir, jeune, s'inscrive dans cette déferlante nationaliste des années quarante, où son propre fief a enfanté des hommes et des femmes illustres: de Arezki Kahal, à Si M'Hamed Bougara, Malika Gaid et Youcef Yalaoui. L'ouvrage dense et aéré à la fois, permet au lecteur une relative liberté pour suivre le cours des évènements, sans l'appréhension de rupture du charme. On peut même faire digression à l'ordre chronologique des 15 chapitres dès lors qu'on a lu, l'avant propos et la préface historique du Pr Jean Luc Einaudi et la préface bibliographique du Pr Boualem Aidouni.

Comme toute la jeunesse algérienne de l'époque et dont l'appétence pour l'indépendance était aiguisée par le dernier conflit mondial armé, le jeune Ghafir conscrit à l'âge de 21 ans à la caserne Bizot de Blida, fait les voiles à l'issue d'une permission, un certain 15 aout 1955, pour se retrouver à Marseille et de là à Paris Clichy- la -Garenne. C'est ainsi que naîtra sur les bords de Seine, un homme surnommé : Moh Clichy. Arrêté en 1958 par les services de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) ce qui augure, déjà, de la «dangerosité» du prévenu, il majore l'arrêt de la première instance qui l'a condamné à deux ans de prison ferme par une déclaration politique lors de son procès en appel devant la 10è Chambre de Paris le 6 octobre 1958. Il ne faisait qu'exaucer le vœu des cinq leaders du FLN détenus depuis octobre 1956, date de l'arraisonnement de leur avion par les forces militaires coloniales. Le premier piratage d'avion dans le monde, se faisait non pas par des terroristes, mais par un Etat.

Il passera donc, trois ans au lieu de deux précédemment infligés, dans de nombreuses prisons dont celle de Fresnes et le camp de Barsac d'où il bénéficiera, en 1961, d'une libération médicale suite aux préjudices corporels subis. Cet intermède carcéral, ne mettra pas, pourtant, fin à cette fougue militante. Au lendemain de sa libération, il reprendra langue avec l'organisation pour assurer les fonctions de chef de zone dans la wilaya I Paris Rive gauche. Cette rive gauche foisonnante d'artistes peintres, d'intellectuels, de comédiens et de cinéastes de Saint Germain des Prés, du Quartier Latin ou de la Sorbonne eut l'insigne honneur d'abriter «les tueurs du FLN» et de les soutenir politiquement et parfois même, matériellement. Moh Clichy en parle avec profusion et reconnaissance. Il évoque, à ce titre, le procès des «porteurs de valises»du réseau Francis Janson ouvert le lundi 5 septembre 1960 devant le Tribunal permanent des forces armées à Paris. A situation d'exception, instance judiciaire d'exception ; le pays des droits de l'Homme, ne déroge pas à la règle. Il y avait dans le box des accusés : 6 responsables FLN et 18 sympathisants français. Et à c'est en cette mémorable occasion que Jean Paul Sartre, déclarait solennellement ceci : «Si Janson m'avait demandé de porter des valises ou d'héberger des militants algériens, et que j'ai pu le faire sans risque pour eux, je l'aurai fait sans hésitation». La messe était ainsi dite. La Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie appelée «Manifeste des 121» dont Simone de Beauvoir, Simone Signoret, Alain Resnais, Pierre Vidal Naquet, François Maspero, Jean Pouillon et J.P. Sartres en furent les principaux signataires se concluait en ces termes : «La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres». La messe était ainsi dite. Le FLN venait de remporter une bataille historique en regard de l'une des trois missions assignées à l'émigration, par le Congrès de la Soummam dans son plan de bataille du 20 août 1956.

- Organiser l'émigration algérienne en France

- Soutenir financièrement l'effort de guerre

- Eclairer l'opinion publique française et étrangère.

 L'auteur, par la magie de mots simples, emprunts d'humilité et sans haine stigmatise plus l'élément musulman des «Harki de Paris» (Force auxiliaire de police) qui brime ses congénères que le flic raciste chauffé à blanc par son préfet, le sinistre Maurice Papon marqué durablement, par une tare génocidaire. Il s'est singularisé déjà, en 1941/44, quand il exerçait la fonction peu enviable de collaborateur en sa qualité de Secrétaire général de la préfecture de Gironde Aquitaine. Persécuteur historiquement reconnu des Juifs, il est sollicité en 1958 par Michel Debré, ministre de l'Intérieur pour nettoyer Paris du FLN. Pour cette fois ci, il n'avait pas, tout à fait, tord. Raymond Muelle dans «7 ans de guerre en France, quand le FLN frappait en Métropole», évoque cette sentence prophétique qui disait «La situation militaire se rétablit en Algérie où le FLN, chez lui, étouffe. Mais il transporte la guerre chez l'ennemi, c'est de là qu'il la gagnera».

Rapatrié de Constantine où il exerçait les fonctions d'Inspecteur Général de l'Administration en Mission Extraordinaire (Préfet IGAME), Maurice Papon voulait sa Bataille de Paris à l'instar de Massu qui a eu sa Bataille d'Alger. Il s'y employa dès lors que son supérieur hiérarchique, en l'occurrence Debré, l'instruisait sous la forme péremptoire qui ne souffrait d'aucune équivoque : «Il faut me nettoyer Paris des tueurs du FLN. La capitale du FLN c'est Paris, ni Tunis, ni le Caire !». L'ordre, se muait dans la bouche de Papon en appel au meurtre à ses sbires: «Réglez vos comptes personnels avec les Algériens, vous êtes couverts par le pouvoir.» Responsable zonal, le matricule 121 ne cesse de jauger les capacités de nuisance de l'Inquisition policière et le comportement digne de sa communauté bien structurée. Le rapport qu'il établira en juillet 1961 sur la répression dans lequel, il anticipe sur les événements et qu'il dénommera lui-même : «le tournant» sera le signe avant coureur dans, ce que d'aucuns n'hésiteront pas à qualifier de nouvelle «Saint Barthélemy». Des lieux, des noms et des hommes écriront, un soir d'octobre, une page des plus sanglantes que la ville des Lumières aura inscrite sur le fronton de la honte. Plus de 300 morts, 400 disparus et 16.000 détenus. La France de Papon est mise à nu par la Communauté internationale. De Gaulle, contraint et forcé rouvrira au lendemain de cet «Ouradour», une ultime fois, les négociations avec le FLN qui seront menées tambour battant jusqu'à la conclusion de la paix, le 18 mars 1962.

L'émigration, cette fille aînée de la Révolution, a non seulement, été la principale pourvoyeuse financière de l'effort de guerre, mais encore la première à consentir le sacrifice suprême, un certain 14 juillet 1953 à Paris. Ils furent 6 jeunes âgés de 15 à 32 ans à être, lâchement abattus. Leur tord mortel a été de brandir, lors des festivités commémorant la prise de la Bastille, l'étendard de leur pays subjugué. Et ce ne sera pas la liesse d'une souveraineté retrouvée qui mettra un terme à l'activisme de Mohammed Ghafir. Il mettra toute son énergie, bien plus tard, tout en assurant des charges dans l'appareil de l'Etat souverain, pour entamer, avec d'autres anciens compagnons de lutte, le combat de la reconnaissance. L'une de ses plus flamboyantes victoires, fut la reconnaissance tardive(1993) mais officielle du 17 octobre comme «Journée nationale de l'Emigration» et le rapatriement, en 2006, de la dépouille mortelle de Fatima Bedar, la collégienne de 15 ans martyrisée et jetée dans le canal Saint Denis en octobre 1961. L'hommage qui est lui rendu par ses adversaires d'hier, aurait pu être l'armistice de son combat contre l'oubli. Mais, c'est méconnaître cette génération, pétrie par les valeurs de l'Etoile Nord Africaine, du PPA /MTLD et qui généra les fils de la Toussaint qui firent de la fête des morts, la fête des vivants. Il vient, par cet ouvrage de plus de 400 pages, édité par «Encyclopédia», d'entamer dans l'épaisseur du voile qui a tenté de masquer à la vue, cette page glorieuse de l'histoire communautaire. Truffé de dates, de noms, d'événements et de documents inédits «Cinquantenaire du 17 octobre 1961 à Paris- Droit d'évocation et de souvenance» marquera durablement la littérature historique de l'année finissante. Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître… Monsieur Ghafir. 

 par Farouk Zahi(Q.O)

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