vendredi 9 décembre 2011

Euro: de réforme en réforme… jusqu'à la catastrophe finale

Le couple « Merckozy » sauve l'Europe chaque semaine et doit recommencer la semaine suivante !

Le scénario se répète à l'infini. Chaque semaine, voire dorénavant plusieurs fois par semaine, les (ir)responsables européens se réunissent en toute urgence, décident la mine grave, de mesures de plus en plus spectaculaires, annoncent l'air soulagé que la catastrophe est évitée de justesse grâce à une austérité qui empire à chaque fois. Patatras ! Le lendemain, voire dans les heures qui suivent, la réponse des «marchés» ne se fait pas attendre : nouvelles menaces des «agences de notation», dévissage des cours de bourse… Bref, la finance internationale ne croit aucunement aux solutions proposées et continue sa spéculation irresponsable.

Comme dans les feuilletons populaires, on prend chaque jour les mêmes acteurs, on trouve toujours une catastrophe supplémentaire (affaire de famille, problème de couples, conflits moraux, revers de fortune), ça finit bien, tout le monde pleure et on recommence le lendemain. La différence, c'est qu'ici, on n'est pas dans un soap opéra made in US, dans une novella brésilienne ou dans une sirupeuse et pleurnicheuse romance de la télévision égyptienne, on est dans la réalité dure. Et les téléspectateurs de cette tragi-comédie mondiale seront également les payeurs de l'incompétence des gouvernants et de la rapacité des « marchés ». Et ils paieront des larmes de sang.

LE COUPLE «MERKOZY» PREND LE POUVOIR EN EUROPE

Lundi, Sarkozy et Merckel se réunissaient à nouveau. On allait voir ce qu'on allait voir ! Le « couple Merckozy » ont pris une série de décisions pour les 27 pays européens qui se réuniront le 9 et 10 décembre. Et c'est Mme Angela Merckel qui porte la culotte : jeudi, si aucun accord n'est trouvé à 27, la France et l'Allemagne iront « à marche forcée » vers un traité avec les 17 pays qui ont adopté l'Euro. Finie l'unanimité qui permettait aux petits pays de se faire entendre : le texte pourra être approuvé par 85% des états. Ce nouveau traité rejette les Eurobonds qui marquaient la solidarité financière entre les membres de l'UE. En revanche, seront mis en place de sanctions automatiques pour les états qui ne respecteront pas la sacro-sainte obligation d'un déficit budgétaire qui ne devra pas être supérieure à 3% du PIB national. Mise en place également d'une Règle d'or, qui inscrira l'austérité et la rigueur dans les constitutions nationales ! Merckozy a réaffirmé son soutien ému à la Banque Centrale européenne, naturellement « indépendante » et concrètement impuissante, le tout sous l'Autorité de la Cour de justice de l'UE dont on se demande ce qu'elle vient faire là. Pour garantir la rigueur et l'austérité, les 27 pays sont convoqués tous les mois par le couple infernal.

Comme beaucoup, vous ne comprenez pas grand-chose au détail et surtout à l'efficacité de ces énièmes « mesures stratégiques décisives» ? Qu'importe. «Les yeux du monde entier sont tournés vers l'Europe », a déclaré à Berlin le secrétaire américain au Trésor Timothy Geithner, se disant toutefois «très encouragé par les événements des deux dernières semaines en Europe». Il s'exprimait aux côtés du ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble, qui s'est dit « très confiant dans le fait que les décisions prises le 9 décembre» contribueront à «un retour de la confiance» des investisseurs. Les agences de notation n'ont toujours pas confiance. L'une d'entre elles, Standard and Poor's a menacé de réviser à la baisse la note de la dette de 15 des 17 pays que compte la zone euro, dont l'Allemagne et la France, qui bénéficient actuellement de la meilleure possible, le fameux «Triple A». Les marchés boursiers européens ont évidemment accusé le coup.

Curieusement, les trois agences de notation, véritables vautours du marché, ont repéré en bons charognards, le vice principal des mesures prises par l'Union européenne : elles sont là pour conseiller les,préteurs internationaux et garantir leur meilleur profit. Les États européens sont endettés ? Il faut évidemment couper dans les budgets des États et notamment les dépenses sociales et de fonctionnement. Là, les agences de notation sont contentes, elles hoquettent même de bonheur. Mais l'inquiétude les saisit aussitôt. Si les pauvres ne consomment plus et que la récession s'installe, alors les recettes fiscales vont faire défaut et l'Europe ne pourra plus rembourser sa dette ! Horreur ! Malheur !

«En pliant dans l'urgence et sans réflexion aux demandes présupposées des «marchés», les États les renforcent, après avoir fait la démonstration en 2008 qu'ils viendraient à leur secours en dernier recours quelles que soient leur irrationalité et leur volatilité. Cela sans pour autant assurer la viabilité de leurs comptes publics », note Bastien Piget de l'IRIS qui s'en prend à juste raison à l'extrême volatilité et irresponsabilité des marchés financiers, l'incapacité des États à les contrôler et à les fiscaliser, et les limites des marges de manœuvres des États pour lutter contre les conséquences économiques et sociales de ces marchés.        Quitte à sacrifier tout espoir de reprise de la croissance, les gouvernements européens renvoient la note à leurs seuls citoyens, jugés trop bien protégés dans l'actuelle phase de mondialisation.

LES RICHES TOUJOURS PLUS RICHES !

Comment expliquer une telle imbécillité dogmatique, une telle théorisation de l'impuissance avouée face au « rempart de l'Argent » ? Après tout, tout le monde ne peut pas être bête en même temps. Quatre facteurs peuvent expliquer en partie l'aveuglement actuel des gouvernants. Tout d'abord nos élites financières, économiques et politiques ont été formées dans les mêmes grandes écoles au lait des théories les plus outrancières du néolibéralisme économique. Les parcours professionnels font alterner des postes dans le privé, dans la haute fonction publique et dans les cabinets ministériels: un quart des patrons des plus grandes entreprises françaises ont appris leur métier de dirigeant d'entreprise au gouvernement ! La croyance naïve dans l'autorégulation nécessaire et spontanée des marchés, la foi militante que seul l'argent crée de l'argent, la conviction que les salariés sont comptablement des charges pour leurs entreprises et plus généralement, pour la société, sont de faux prédicats largement partagés par nos élites autoproclamées.

 Sur le plan anthropologique, on pourrait rajouter un zeste de mauvais christianisme pour qui tout péché mérite sanction et tant qu'à punir, il vaut mieux cogner sur ceux qui y sont déjà depuis longtemps habitués. Mais dans le cas, les pauvres n'y suffiront plus et les classes moyennes plongeront également.

 Dans un registre plus prosaïque, nos élites ont bénéficié largement des fruits du pillage général, avec de très grands enrichissements personnels : c'est le partage des prébendes. Les quelques lignes qui précèdent ont un furieux accent de dénonciation très « rétro », riches contre pauvres ?. Laissons parler le rapport présenté lundi par l'OCDE, l'Observatoire du développement et de la coopération économique, peu connu pour un gauchisme excessif. L'OCDE souligne l'augmentation des inégalités de revenus dans la plupart des pays industriels, augmentation liée d'abord aux écarts de salaires. La situation s'est, aggravée en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni, au Japon. Certes, la hausse n'est pas toujours comparable à celle enregistrée aux États-Unis : 1 % des ménages les plus aisés percevait 8 % du revenu global en 1980 ; il s'en arroge aujourd'hui près de 18%. En 1980, le revenu des 10 % les plus riches représentait aux États-Unis 10 fois celui des 10 % les plus pauvres, 15 fois aujourd'hui. Il faut partout freiner cet écart grandissant: « ce n'est même pas une question morale. C'est une question économique. » Le secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, qui présentait lundi le deuxième rapport consacré aux inégalités, a insisté sur l'impact négatif de celles-ci sur la croissance, à travers le monde. Les inégalités provoquent le désespoir de nombreux jeunes, freinent la mobilité sociale, et par-là même les performances économiques des pays où elles sont les plus élevées ; elles alimentent un sentiment antisystème, et contribuent à faire prospérer les idées protectionnistes.

LE RETOUR DES MEFIANCES NATIONALES

Enfin, auto-persuadés sur le plan de la politique économique, nos élites regardent avec de plus en plus de circonspections les mécanismes démocratiques. « Le peuple n'y comprend rien : faisons son bonheur sans lui demander son avis.

« Sur le plan politique, les appels en faveur d'un fédéralisme européen, d'un nouveau traité, d'un rôle renforcé pour la BCE, d'une capacité de contrôle accru de la Commission européenne sur le budget et les politiques des États membres sont aussi présentés comme autant de portes vers la sortie de crise ou de moyens d'en éviter une reproduction », remarque Bastien Piget, qui note toutefois que ces modifications constitutionnelles doivent faire l'objet de référendum ou de votes parlementaires. Hélas, dans le climat actuel ces votes parlementaires et a fortiori des référendums auraient des issues bien incertaines. Les présidents de l'UE et de la Commission européenne, l'un, Herman Van Rompuy, totalement inconnu, et l'autre, José Manuel Barroso, qui ne doit sa longue durée dans le poste à son incompétence gesticulatrice, ont présenté mardi deux options pour modifier le traité de l'UE afin de renforcer la discipline budgétaire de la zone euro, dont une, rapide, qui ne nécessiterait pas de ratification dans les différents pays.

 Tout le pouvoir aux experts ! «D'un point de vue démocratique, il y a une contradiction fondamentale à vouloir simultanément produire un saut qualitatif dans l'intégration européenne tout en refusant aux citoyens le droit de s'exprimer sur les décisions prises à l'échelle européenne. Il y a aussi un paradoxe à voir des acteurs européens comme le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, dont la légitimité, la crédibilité et l'action depuis le début de la crise sont contestés jusqu'au cœur même des institutions européennes, s'emparer ces derniers jours de la crise comme d'une occasion de renforcer leurs prérogatives face aux autres institutions européennes ou aux États membres », conclut le chercheur de l'IRIS.

La situation actuelle, loin de nourrir la volonté d'une nouvelle étape, encore plus fédérale de l'Union européenne, institution depuis longtemps vécue comme très loin des citoyens européens, alimente plutôt des exigences démocratiques à la base, mélangées avec la conviction largement partagée parmi les populations, que les politiciens locaux sont plus aisément contrôlables que les eurocrates de Bruxelles : depuis le début de la crise grecque, neuf gouvernements ont connu des alternances et Nicolas Sarkozy comme Angela Merckel affrontent une élection décisive, l'an prochain.

 Mais la méfiance va plus loin et les Européens commencent à se méfier les uns des autres. Les Européens du Nord sont convaincus que ceux du Sud sont des feignants. Au cours du sommet qui démarre demain, il est fort possible que les 25 pays européens s'exaspèrent en public des diktats du couple franco-allemand. En France même, on s'irrite de plus en plus de « l'arrogance allemande » et le rappel aux trois dernières guerres (1970, 1914, 1940) perce même dans quelques propos publics. Staard & Poor's a placé lundi soir «sous surveillance négative» les notes de quinze pays de la zone euro, dont l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, qui bénéficient actuellement du triple A. Les pays européens menacés par S&P, ne comprennent pas que l'Angleterre qui a, sur beaucoup de points les plus mauvais résultats, conserve son Triple A. Et les USA n'ont jamais vraiment apprécié l'Euro.

Du coup, la théorie d'un vaste complot anglo-saxon contre la monnaie européenne refleurit. Il est vrai cette hypothèse n'est pas totalement surréaliste. 


 par Pierre Morville

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