Une partie de l'Egypte refuse de troquer sa révolution contre un régime contrôlé par les généraux.
«On ne fera pas les mêmes erreurs que vous» a dit au
chroniqueur un écrivain égyptien il y a quelques mois. Cela se confirme:
les Egyptiens restent vigilants et savent décoder l’arnaque. Et
contrairement à ce que l’on croit et répète, l’expérience algérienne, ratée, est dans les esprits de nos voisins en Tunisie et en Egypte.
Ils
savent que chasser Chadli (en janvier 1992) et obtenir un parti
majoritaire à la place d’un parti unique n’est pas la démocratie. Le
Pouvoir ruse à chaque fois et aujourd’hui encore en Egypte. Là, l’armée
veut faire en remake ce qui s’est fait chez nous: déplacer le centre de
la décision vers l’occulte, s’autonomiser par rapport au droit de regard
et de surveillance du peuple et offrir à la populace un Etat fantoche
avec un Président faible, des ministres sans puissance et un parlement
sans poids.
La ruse du politique face aux aspirations révolutionnaires
Pour comprendre ce qui s’est passé chez nous en 1988 et qui permet à certains oiseaux de répéter que «l’Algérie a déjà payé»
(oui mais jamais livré), il faut inverser: en 1988 les Egyptiens
chassent Moubarak, leur FLN devient parti favori (synonyme poli de parti
unique) et ils ont droit à une fausse opposition surveillée et des
islamistes en bocal pour faire peur. Les islamistes sont poussés à la
révolte et se révoltent, on revient au «tout sécuritaire» et on reprend
le pouvoir sous l’impérative de la stabilité et de la lutte
anti-terroriste. Le maréchal Tantaoui devient le vrai maître du pays,
Amr Moussa devient un Président coopté pour accueillir les étrangers et
la police politique change de sigle mais pas de mission. A la fin? Rien
n’a changé sauf la couleur de la veste. Dix ans après, les Egyptiens se
retrouvent avec 256 petits Moubarak et leurs fils, plusieurs polices
politiques, une place Tahrir devenue lots de terrains ou assiette pour
la plus grande mosquée d’Afrique.
Que l'armée obéisse au peuple, et pas l'inverse
Les Egyptiens veulent donc que cela ne leur arrive pas. Ils veulent l’autorité du peuple sur l’arme et pas l’inverse.
Ils veulent que ceux qui ont tué durant leur révolution soient
retrouvés et jugés. Ils ne veulent pas que les victimes finissent comme
les victimes d’octobre 1988, «accident de travail» selon la nomenclature de remboursement et des indemnisations décidées sous Chadli.
Chez
nous, en Algérie, personne n’a été jugé pour les tirs à balles réelle
du 5 octobre. Personne n’a payé pour les centaines de morts et les
milliers de torturés. Les Egyptiens veulent que le budget de leur armée
ne soit pas un secret entres intimes et veulent que la démocratie
demandée par les 850 morts soit livrée immédiatement et pas comme chez
nous, livrée après la mort. Les Egyptiens ne veulent pas que cela leur
arrive et c’est le plus dure: démocratiser l’armée dans les pays arabes,
lui signifier qu’elle n’est pas au-dessus du peuple, que c’est le
peuple qui la paye et qu’elle est là pour obéir et pas pour donner des
ordres.
Kamel Daoud
slate
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