La France mise sous surveillance pendant trois mois, l’Espagne dégradée de deux crans d’un seul coup… l’agence de notation Moody’s frappe un grand coup à la veille du sommet européen du week-end prochain. Décryptage.
Moody’s veut-elle réveiller les
partenaires de l’euro en dramatisant les enjeux et en rapprochant les échéances?
Concernant la France, il ne s’agit pas vraiment d’une surprise. Avec plus de 1.600 milliards de dette publique
correspondant à 86% du produit intérieur brut (PIB), elle est le plus fragile
des pays qui conservent cette note délivrée par les agences.
On peut discuter de la légitimité de ces
établissements à délivrer des bons ou des mauvais points. Mais pour qui entre
dans une logique financière, ce genre de note est pris en compte lors de la
souscription à emprunt d’Etat. Légitimes ou pas, les agences sont écoutées par
qui leur prête l’oreille. Dans trois mois, on saura si la France est dégradée
comme les Etats-Unis l’ont été, ou si elle peut conserver sa note qui est aussi
celle de l’Allemagne. Mais à quoi correspond la démarche de Moody’s?
Un budget français bien trop optimiste
En France, le projet de loi de finances
pour 2012 [PDF], c'est-à-dire le projet de budget pour l’an prochain, est
excessivement optimiste. Et même irréaliste. Il est construit sur la base d’une
croissance économique de 1,75% alors que les prévisions tournent aujourd’hui
entre 1% et 1,2%. Le Premier ministre François Fillon a beau expliquer que ce
projet fonctionne également pour une croissance de 1,5%, on est encore loin du compte.
Conséquences? Avec une croissance
inférieure aux anticipations, les recettes de l’Etat seront moins élevées que
prévu. D’où un déficit budgétaire prévisible plus lourd que les 4,5% programmés
(soit 81 milliards d’euros), un recours à l’emprunt plus important pour combler
le trou, et une dette française qui risque d’augmenter plus vite que ne le
prévoit le plan d’austérité.
Déjà, des emprunts de plus en plus chers
Les marchés financiers ont déjà réagi à
ce dérapage: bien que les agences de notation créditent la France et
l’Allemagne d’un même AAA (la note la plus élevée qui souligne la confiance des
créanciers dans la capacité des Etats à honorer leurs engagements), l’Etat
français est obligé aujourd’hui d’accepter des taux d’emprunt supérieurs d’un
point à ceux qui sont consentis à l’Allemagne. Autrement dit, les marchés
financiers ont plus confiance en l’Allemagne qu’en la France.
Or selon Jérôme Cahuzac, le président
socialiste de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, «un
point de plus du taux d’intérêt correspond à 10 milliards d’euros de plus du
service de la dette dans cinq ans». Alors que le service de la dette –c'est-à-dire les intérêts à rembourser chaque année– est déjà devenu le
premier poste budgétaire (il approchera 49 milliards d’euros l’an prochain), on
imagine assez le résultat d’une dégradation de la note française si elle
s’accompagnait d’un relèvement du taux auquel la France pourrait emprunter sur
les marchés financiers.
Un tour de vis qui comptera à la présidentielle
Pour contrer ce genre de dérapage, le gouvernement,
confronté à la perspective de recettes moins élevées que prévu, doit
arithmétiquement réduire ses dépenses d’un montant équivalent pour tenir sa
prévision d’un déficit budgétaire de 4,5% l’an prochain. Tel sera l’objectif de
la révision budgétaire qui s’impose. On peut donc s’attendre à encore plus d’austérité. La question étant: qui va payer?
Nul doute que la réponse sera au cœur de
la campagne présidentielle, et pèsera lourd dans les urnes. Si l’alerte lancée
par Moody’s facilite la tâche du gouvernement dans l’annonce de ce tour de vis
supplémentaire, elle ne facilite pas le travail du futur candidat de droite qui
devra séduire tout en justifiant les efforts de rigueur réclamés aux électeurs.
Certes, l’Etat français pourrait
ignorer la menace d’une dégradation. Les prévisions de croissance ne
changeraient pas pour autant, ni l’augmentation du déficit budgétaire, de la
dette souveraine. Et, en fin de compte, la hausse des intérêts à payer chaque
année. Une spirale véritablement infernale.
Le poids du lien franco-allemand
On peut condamner le pouvoir exercé par
les agences de notation sur les gouvernements du monde entier, et leur influence sur les politiques budgétaires
auxquelles sont soumises les populations de tous ces Etats. Mais les gouvernements sont eux-mêmes entrés dans cette
logique en se plaçant, du fait de la dette, dans les mains des marchés
financiers. Ils ont, ce faisant,
accepté leur logique. Et dans ces conditions, la rétrogradation de la note
française était, en quelque sorte, inéluctable.
Elle n’est pas intervenue plus tôt à
cause notamment de la solidité du lien franco-allemand. Mais le différentiel
entre les deux économies s’accroît. Par exemple, alors que le solde du commerce
extérieur allemand est toujours positif, les échanges français sont de plus en
plus déficitaires (sur douze mois à fin août, il atteignait le triste record de
69 milliards d’euros). Et rien ne semble devoir stopper cette dérive puisque
rien n’est fait dans ce sens.
On ne reviendra pas sur les raisons de
ce différentiel. Reste que des questions se posent sur le fonctionnement
de la relation franco-allemande si l’écart s’accroît entre les deux économies.
Ce qui n’est pas à porter au crédit de la France dans la perception qu’en ont
les marchés financiers.
La zone euro paie pour la lenteur de sa réaction
Par ailleurs, dans la logique
financière qui domine, la zone euro est bien trop lente à réagir à la crise de
la dette souveraine. Les pays du littoral méditerranéen (Grèce, Espagne,
Portugal, Italie) en font les frais.
Imagine-t-on que l’accord du 21 juillet
dernier destiné à rassurer les marchés en élargissant le rôle du Fonds européen
de stabilité financière et en le dotant de moyens renforcés pour acquérir des
obligations d’Etat, n’est pas encore définitivement validé… Trois mois après avoir été présenté, le
plan d’action pour soutenir les Etats les plus endettés de la zone euro, n’est
donc toujours pas opérationnel. Trois mois… une éternité pour les marchés
financiers.
Les politiques parlent finance,
raisonnent finance, mais ne réagissent pas selon la logique des marchés
financiers. D’où une défiance de ces marchés qui augmente avec le temps qui
passe. D’autant que d’aucuns s’interrogent sur la pertinence de ce plan trois mois plus tard, les
conditions économiques en Europe et dans les Etats concernés ayant, dans l’intervalle,
évolué.
Un sommet européen à haut risque
On verra, à l’occasion du sommet
européen du 23 octobre, si les Etats européens auront retenu la leçon et si
leur réplique deviendra véritablement offensive au lieu de demeurer à la traîne
des évènements et de manquer de détermination. La presse britannique anticipe
une décision qui viserait à relever à 2.000 milliards d’euros du FESF.
Quoi qu’il en soit, en choisissant de
révéler la mise sous surveillance de la note la France et en abaissant celle de
l’Espagne de deux crans d’un coup, Moody’s s’invite dans le débat et met la
pression sur les partenaires de l’euro, à l’occasion d’un conseil qui apparaît
de plus en plus comme une réunion de la dernière chance pour les pays dans
l’œil du cyclone.
Gilles Bridier Source SLATE
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