vendredi 30 septembre 2011

TGV en France : La faillite à grande vitesse

Le TGV fête ses 30 ans avec éclat. Mais son succès s’est construit au détriment des lignes secondaires et régionales. Résultat : notre système ferroviaire est à l’agonie. Analyse d’un gâchis à la française.
Le TGV a 30 ans cette semaine ! 30 ans de fierté nationale, au point qu’il est toujours le symbole de la technologie française. Le TGV a mis Lyon à deux heures de Paris et Marseille à seulement trois heures… Mais il y a l’envers du décor, dont personne ne parle, comme s’il ne fallait pas écorner le mythe. Première ombre au tableau : le TGV a coûté très cher, 30 milliards d’euros. Deuxième ombre : ses coûts de fonctionnement sont prohibitifs, en raison de l’entretien de ses lignes spécifiques. Troisième ombre : son succès s’est fait au détriment de toutes les autres lignes SNCF, secondaires et régionales, car le TGV a été un dévoreur de budget. Plus le réseau TGV progressait, plus le réseau secondaire se déglinguait.

Qui est responsable d’un tel déséquilibre ? Nos hommes politiques, notamment nos élus locaux, et la SNCF.
Le journaliste Marc Fressoz, auteur de Faillite à grande vitesse, explique : « Nos gouvernants et nos grands élus ont comme religion exclusive le TGV. Chaque grand maire veut son TGV, quel qu’en soit le prix ! » Mais nous sommes arrivés à une situation insupportable, à la limite de l’asphyxie pour les lignes traditionnelles. Compte tenu de la dégradation du réseau secondaire, il faut d’urgence rompre avec cette « religion de la grande vitesse ». Selon Marc Fressoz, il faut à nouveau investir sur l’ensemble de notre réseau ferroviaire, car celui-ci est devenu « vieillissant et sclérosé ».

Absurde sur de petites distances

D’après ce spécialiste, il faut même envisager la fermeture d’un certain nombre de lignes TGV, qu’il juge absurdes ou non essentielles, comme le Paris-Les Sables-d’Olonne. En effet, sur certaines distances, l’investissement pour construire une ligne TGV est totalement disproportionné par rapport au bénéfice qu’il apporte.
Face à ce constat de simple bon sens, certains responsables politiques reviennent à l’idée de trains circulant à 200 km/h, comme en Allemagne, vitesse bien suffisante sur de petites ou moyennes distances. Ce sera le cas, par exemple, sur Paris-Caen et Paris-Le Havre : « Au lieu du TGV roulant à 320 km/h qu’avait promis le président de la République en juin 2009, on construira des sections de lignes nouvelles qui ne seront pas dimensionnées pour 320 mais pour 200 à 230 km/h », se réjouit Marc Fressoz.

En temps de crise, moins de TGV

La crise et la dette étant là, la France du TGV devra aussi se « calmer » pour des raisons budgétaires : jusqu’à présent, chaque maire considérait que le TGV était indispensable au développement de sa ville, mais aussi à son prestige. D’autres mettaient en avant l’argument suprême des créations d’emplois. Il n’y avait guère que les riverains des lignes à haute vitesse pour contester l’arrivée du TGV.
En réalité, contrairement à ce qu’on croit, l’industrie ferroviaire française n’est pas essentielle en terme d’emplois. Elle ne fait travailler que 21.000 salariés. Le constructeur Alstom n’a réussi à vendre son TGV qu’en Corée, en Espagne et au Maroc. Cela ne représente que 10 % du chiffre d’affaires de sa branche ferroviaire.
Remettre en question notre magnifique train à grande vitesse, alors que le nombre de passagers qu’il transporte ne cesse d’augmenter depuis son lancement, en 1981, semble paradoxal, voire incongru. Pourtant, le président de la SNCF lui-même, Guillaume Pepy, ancien apôtre du tout-TGV, a lancé un cri d’alarme, dès septembre 2010 : « Trop de TGV risque de tuer la SNCF et le système ferroviaire français. » Un vrai reniement ! A l’époque, personne n’a relevé cette mise en garde, comme si le TGV était une icône inattaquable… Mais le grand patron du rail français, qui descendait ainsi le TGV de son piédestal, expliquait : « Chaque jour, 9 clients sur 10 de la SNCF voyagent sur un autre train que le TGV. La SNCF, c’est 5 millions de voyageurs par jour, là-dessus le TGV n’en transporte que 300.000. » En clair : il est temps de s’occuper des autres trains, car ils tombent en ruine !

1,8 milliard de voyageurs

Les chiffres remettent les idées en place. En trente ans, le TGV a transporté 1,8 milliard de voyageurs. Mais sur la même période les autres trains de la SNCF ont transporté… 21 milliards de voyageurs dans la seule région parisienne. Et là, contrairement au TGV – peut-être même à cause du TGV ! –, les crédits n’ont pas suivi.
Après avoir glorifié le TGV sans trop se poser de questions, les dirigeants de la SNCF tirent donc, maintenant, le signal d’alarme : le TGV, enfant gâté du réseau ferroviaire français, ne dégage pas suffisamment d’argent pour que nous puissions entretenir l’ensemble du réseau, soit 30.000 kilomètres de voies ferrées. Selon les chiffres officiels, il manque chaque année 1,5 milliard d’euros pour assurer une maintenance correcte du réseau français.
Face à ce constat, la direction de la SNCF reconnaît maintenant que la prodigieuse réussite du TGV dans l’Hexagone mène l’ensemble du système ferroviaire français dans le mur. Dans son enquête implacable, le journaliste Marc Fressoz explique : « En ces temps de crise et de restriction budgétaire à outrance, la direction de la SNCF a pris peur. Elle a compris que trop de TGV risque de tuer l’institution SNCF. Or le Grenelle de l’environnement prévoit de créer 2.000 kilomètres de lignes nouvelles à grande vitesse d’ici 2020, soit 80 milliards d’euros de nouvelles dettes ferroviaires ! Une folie très dangereuse, car elle est entretenue tout à la fois par le président de la République, le Premier ministre et les grands élus de province, tant droite que de gauche. »

Freiner le TGV

Après avoir misé sur le TGV à tout prix, il va donc falloir ralentir sérieusement notre train à grande vitesse. L’urgence est à l’amélioration de l’ensemble du réseau ferré français, car il s’est détérioré au fur et à mesure que le réseau TGV progressait. L’heure est à la réhabilitation des lignes secondaires, à l’amélioration des dessertes régionales de la SNCF. A la fermeture de certaines lignes aussi. Quand on s’est concentré pendant trente ans essentiellement sur le TGV, il n’est pas évident de changer de cap, d’autant que de grands chantiers ont été lancés pour de nouvelles lignes TGV. Gouvernement, élus locaux et SNCF se trouvent face à un casse-tête qu’ils devront résoudre d’urgence. Les solutions existent. Mais cette fois, il ne faudra pas se tromper de train.
Les victimes du TGV
Les TER, le Transilien et le RER
Les banlieusards parisiens et les provinciaux sont les premières victimes du succès du TGV. En effet, nombre de crédits d’entretien des voies ferrées des TER (trains express régionaux) ont été détournés discrètement pour entretenir les lignes TGV. Résultat : le réseau ferroviaire TER est sclérosé et mal entretenu depuis le début des années 1980. De plus, l’usager ne paie que 20 % du prix du billet, le contribuable payant les 80 % restants.
Aussi, la tentation est grande d’employer des méthodes chirurgicales. Ainsi, la Cour des comptes préconise la fermeture de 7.800 kilomètres de lignes secondaires, soit 27 % du réseau ferroviaire. Elle recommande des « solutions routières alternatives ». D’autre part, dans un rapport de 800 pages commandé par la SNCF et RFF, vingt-trois experts évaluent la remise en état du réseau ferré français à 15 milliards d’euros sur une période de dix ans. On est loin du compte aujourd’hui, en dehors des voies TGV. La SNCF et RFF y consacrent trois fois moins.
En dix ans, les conseils régionaux ont acheté 6,5 milliards d’euros de rames de TER. Ces trains flambant neufs sont souvent obligés de rouler à 30 à 40 km/h étant donné l’état souvent catastrophique des voies…
 
 
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