Après Sidi Bouzid, c'est au sein de la gent féminine que ça grogne
depuis hier à Tunis. Ça bouillonne encore, dix jours après les élections
à la nouvelle Assemblée tunisienne, gagnées «relativement» par le parti
islamiste Ennahda. La colère gronde de nouveau et tout présage d'un
éventuel dérapage. Ainsi, hier, en début d'après-midi, quelques
centaines de femmes se sont donné rendez-vous à la Casbah pour dénoncer
devant le siège du Premier ministère les exactions commises dans
certaines universités tunisiennes par des étudiants islamistes. La
manifestation fait suite aux agressions dont ont fait l'objet, depuis
deux jours des enseignantes et les étudiantes non voilées à l'université
de Manouba, dans la banlieue sud-est de Tunis. Selon nos informations
recueillies sur place, des étudiants barbus ont empêché certaines
enseignantes de poursuivre leurs cours. A Montfleury, des étudiants
salafistes ont également refusé, la semaine dernière, que des
professeurs femmes non voilées fassent leurs cours.Une manifestante, la
soixantaine, nous a déclaré que d'autres actes graves se déroulent à
Kairaouan au sud-est de Tunis. Interrogée sur le fait que la liberté et
le travail de la femme sont menacés, Mme Cheikh Ilhem, directrice d'une
entreprise privée, déclare: «Je ne sais pas ce qui se passe
actuellement, mais on peut tout prévoir puisque dans certains
restaurants universitaires, il y a des gens qui obligent à séparer les
étudiantes des étudiants. Même le jour des élections dans certains
bureaux de vote, il y a eu deux files, une pour les femmes et l'autre
pour les hommes. Ça commence déjà mal. On va lutter pour être toujours
un modèle pour les femmes arabes». Comme pour endosser la responsabilité
au parti Ennahda, notre interlocutrice enchaîne: «C'est le double
discours non convaincant du fait qu'Ennahda disait qu'il ne retire rien
des droits de la femme alors qu'il y a étrangement, depuis trois jours,
le port du voile qui est devenu plus important dans les quartiers
populaires qui risque de diviser les citoyens tunisiens». «Ennahda est
une erreur», s'est-elle exclamée. Afifa, enseignante, nous a déclaré que
cette manifestation est spontanée, organisée par des femmes de bouche à
l'oreille, les SMS et Facebook échangés par des femmes. «Nous exigeons
que nos acquis soient mentionnés dans la future Constitution car
réellement on ne fait pas confiance au parti Ennahda tant qu'il existe
une différence entre la parole et l'action». Narjess Bouraoui-Triki,
cadre à Tunis Air, et militante pour les droits de la femme et qui n'est
autre que la fille du défunt syndicaliste Abdelaziz Bouraoui, leader de
première heure, nous déclare à chaud: «On n'a pas peur et sommes
conscientes des actions contre la femme qui peuvent émerger à travers
les jeunes d'Ennahda. Hier, les jeunes étudiants des années 60/70
étaient surtout des communistes. Aujourd'hui, celui qui n'est pas
handhaoui n'est pas considéré comme étant un activiste parmi ses
camarades. Il va y avoir une face qui communique et une fourmillière qui
va tirer vers l'extrémisme au sein d'Ennahdha. On ne peut pas leur
faire confiance tant qu'on n'a pas vu la Constitution et le Code de
statut personnel (CSP). On ne demande rien de plus que du copier-coller
de la partie qui a trait aux droits et aux acquis de la femme et de la
famille». Sur place, l'on a appris qu'une même manifestation devait
avoir lieu à Sfax devant le théâtre municipal. Une manifestation, selon
nos sources, qui sera un cycle permanent dans toutes les villes de
Tunisie. A noter qu'une délégation de femmes, qui a été reçue par Caïd
Essebsi au moment de la manifestation, a déclaré à la presse que ce
dernier se porte garant des droits de la femme tout en l'incitant à
continuer à revendiquer ses droits. Selon Ons hattab, représentante du
syndicat de l'enseignement supérieur, Caïd Essebsi a salué cette
manifestation, notant que la femme doit défendre ses droits et ses
acquis.
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