mardi 25 octobre 2011

l'ex commandement des Gardiens du peuple raconte:Les derniers jours de Kadhafi

Mouammar Kadhafi a passé les dernières semaines de sa vie à fuir d'une cachette à l'autre à Syrte, sa ville natale, alternant accès de rage et mélancolie alors que s'effondraient les derniers symboles de sa toute-puissance passée, selon le récit d'un de ses fidèles aujourd'hui en détention.
Deux mois après la prise de Tripoli par les forces révolutionnaires, Mouammar Kadhafi est mort jeudi lors de la chute de Syrte aux mains des troupes du Conseil national de transition (CNT), à l'issue de plusieurs semaines de combats. Le «Guide» déchu, qui avait dirigé la Libye pendant 42 ans, a été inhumé dans une tombe sans inscription mardi, avec son fils Mouatassim, dans un lieu tenu secret mais situé «non loin» de Misrata, selon les nouvelles autorités libyennes.
Mansour Dao, qui travaillait pour le dirigeant libyen depuis 1980, avait été chargé de sa sécurité personnelle dans les années 90 avant de prendre le commandement des Gardiens du peuple, dont la principale mission consistait à traquer les opposants du dictateur.
Ce membre du clan Kadhafi, capturé jeudi dernier en même temps que l'ancien maître de Tripoli, a raconté les derniers jours à Syrte lundi dans une salle de conférences du quartier général des forces révolutionnaires à Misrata, devenue son lieu de détention provisoire.
Traqués, l'ancien dirigeant libyen, Mouatassim et leur entourage d'une vingtaine de fidèles endurcis, étaient largement coupés du monde, se terrant dans des maisons sans télévision, téléphone ou électricité, a rapporté Mansour Dao.

Selon lui, Mouammar Kadhafi occupait ses journées à lire, écrire, ou préparer du thé sur un poêle à charbon, laissant ses fils diriger les derniers combats. «Il ne menait pas la bataille», assure le garde du corps en pyjama bleu marine, «ce sont ses fils qui le faisaient. Il ne planifiait rien et ne pensait à aucun plan».
Le jour de la chute de Syrte, Mouammar Kadhafi et plusieurs fidèles ont tenté de fuir la ville. Mansour Dao se trouvait dans le même véhicule que le dirigeant déchu, une Toyota Landcruiser verte. Mais une frappe de l'OTAN a touché le convoi. Blessés, le colonel Kadhafi et Mansour Dao ont été capturés par les combattants du CNT, l'exécutif provisoire installé par les anciens rebelles.
Mouammar Kadhafi devait mourir dans les heures suivant sa capture, dans des circonstances qui restent obscures. Sous la pression internationale, le CNT a promis d'ouvrir une enquête. De son côté, Mansour Dao dit avoir perdu connaissance avant que Kadhafi ne soit capturé et ne pas savoir ce qui est arrivé à son chef.
Selon lui, Mouammar Kadhafi avait fui sa résidence de Tripoli le 18 ou le 19 août, juste avant que les insurgés n'entrent dans la capitale. Après la chute de Tripoli le 21, il aurait gagné directement Syrte, accompagné de son fils Mouatassim.
Mansour Dao dit avoir rejoint Kadhafi à Syrte une semaine plus tard, tandis que l'ancien chef du renseignement libyen Abdallah al-Senoussis faisait la navette entre la ville natale du «Guide» et Sabha, dans le sud du pays, à l'époque troisième poche de résistance des fidèles du régime.
De son côté, Saïf Al-Islam, le fils Kadhafi qui faisait figure d'héritier, aurait trouvé refuge à Bani Walid, autre bastion des partisans du régime, d'après Mansour Dao. Important foyer de résistance, Bani Walid a fini par tomber la semaine dernière.
Abdallah al-Senoussi et Saïf Al-Islam, recherchés pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI), sont toujours en fuite. Un responsable nigérien Rissa Ag Boula, conseiller présidentiel et membre élu du conseil régional d'Agadez, croyait savoir mardi que Saïf al-Islam aurait pris la direction du Niger, où des dizaines de membres du régime Kadhafi ont déjà trouvé refuge.
Selon Mansour Dao, les conseillers de Kadhafi n'avaient cessé de lui recommander de quitter le pouvoir et s'exiler, mais il avait refusé, disant vouloir mourir sur la terre de ses ancêtres. «J'avais de la peine pour lui parce qu'il avait sous-estimé la situation», confie-t-il. «Il aurait pu partir, quitter le pays et vivre une vie heureuse.»
À Syrte, bombardée par l'OTAN et assiégée par les forces du CNT, Kadhafi et son entourage étaient obligés de changer de cache tous les quatre jours environ. Le groupe restait dans les limites du quartier «numéro deux», trouvant refuge dans les maisons désertées par les habitants qui fuyaient les combats.
«On avait peur des frappes aériennes et des bombardements», dit Mansour Dao, tout en précisant qu'il ne pensait pas que Kadhafi ait été effrayé. Les derniers jours, la nourriture commençait à manquer. Le garde du corps avait auparavant précisé que les messages audio diffusés par Kadhafi après la chute de Tripoli étaient enregistrés à Syrte et transmis par téléphone satellite.
Mouatassim commandait les combattants loyalistes à Syrte, raconte encore Mansour Dao. D'environ 350 au départ, il n'en restait plus à la fin que 150 à peu près, beaucoup s'étant enfuis.
Après 42 ans de règne despotique, Kadhafi pestait contre la perte du pouvoir. «Il était stressé, il était réellement en colère, ça le rendait fou parfois», observe son garde du corps. Mais «la plupart du temps, il était juste triste et furieux». «Il pensait que le peuple libyen l'aimait encore, même quand nous lui avons dit que Tripoli était occupée.»

Karin Laub et Rami al-Shaheibi
Associated Press
Misrata, Libye

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