Mouammar Kadhafi a passé les
dernières semaines de sa vie à fuir d'une cachette à l'autre à Syrte,
sa ville natale, alternant accès de rage et mélancolie alors que
s'effondraient les derniers symboles de sa toute-puissance passée,
selon le récit d'un de ses fidèles aujourd'hui en détention.
Deux
mois après la prise de Tripoli par les forces révolutionnaires,
Mouammar Kadhafi est mort jeudi lors de la chute de Syrte aux mains des
troupes du Conseil national de transition (CNT), à l'issue de plusieurs
semaines de combats. Le «Guide» déchu, qui avait dirigé la Libye pendant
42 ans, a été inhumé dans une tombe sans inscription mardi, avec son
fils Mouatassim, dans un lieu tenu secret mais situé «non loin» de
Misrata, selon les nouvelles autorités libyennes.
Mansour Dao, qui travaillait pour le dirigeant libyen depuis 1980, avait
été chargé de sa sécurité personnelle dans les années 90 avant de
prendre le commandement des Gardiens du peuple, dont la principale
mission consistait à traquer les opposants du dictateur.
Ce membre du clan Kadhafi, capturé jeudi dernier en même temps que
l'ancien maître de Tripoli, a raconté les derniers jours à Syrte lundi
dans une salle de conférences du quartier général des forces
révolutionnaires à Misrata, devenue son lieu de détention provisoire.
Traqués, l'ancien dirigeant libyen, Mouatassim et leur entourage d'une
vingtaine de fidèles endurcis, étaient largement coupés du monde, se
terrant dans des maisons sans télévision, téléphone ou électricité, a
rapporté Mansour Dao.
Selon lui, Mouammar Kadhafi occupait ses journées à lire, écrire, ou
préparer du thé sur un poêle à charbon, laissant ses fils diriger les
derniers combats. «Il ne menait pas la bataille», assure le garde du
corps en pyjama bleu marine, «ce sont ses fils qui le faisaient. Il ne
planifiait rien et ne pensait à aucun plan».
Le jour de la chute de Syrte, Mouammar Kadhafi et plusieurs fidèles ont
tenté de fuir la ville. Mansour Dao se trouvait dans le même véhicule
que le dirigeant déchu, une Toyota Landcruiser verte. Mais une frappe de
l'OTAN a touché le convoi. Blessés, le colonel Kadhafi et Mansour Dao
ont été capturés par les combattants du CNT, l'exécutif provisoire
installé par les anciens rebelles.
Mouammar Kadhafi devait mourir dans les heures suivant sa capture, dans
des circonstances qui restent obscures. Sous la pression internationale,
le CNT a promis d'ouvrir une enquête. De son côté, Mansour Dao dit
avoir perdu connaissance avant que Kadhafi ne soit capturé et ne pas
savoir ce qui est arrivé à son chef.
Selon lui, Mouammar Kadhafi avait fui sa résidence de Tripoli le 18 ou
le 19 août, juste avant que les insurgés n'entrent dans la capitale.
Après la chute de Tripoli le 21, il aurait gagné directement Syrte,
accompagné de son fils Mouatassim.
Mansour Dao dit avoir rejoint Kadhafi à Syrte une semaine plus tard,
tandis que l'ancien chef du renseignement libyen Abdallah al-Senoussis
faisait la navette entre la ville natale du «Guide» et Sabha, dans le
sud du pays, à l'époque troisième poche de résistance des fidèles du
régime.
De son côté, Saïf Al-Islam, le fils Kadhafi qui faisait figure
d'héritier, aurait trouvé refuge à Bani Walid, autre bastion des
partisans du régime, d'après Mansour Dao. Important foyer de résistance,
Bani Walid a fini par tomber la semaine dernière.
Abdallah al-Senoussi et Saïf Al-Islam, recherchés pour crimes de guerre
par la Cour pénale internationale (CPI), sont toujours en fuite. Un
responsable nigérien Rissa Ag Boula, conseiller présidentiel et membre
élu du conseil régional d'Agadez, croyait savoir mardi que Saïf al-Islam
aurait pris la direction du Niger, où des dizaines de membres du régime
Kadhafi ont déjà trouvé refuge.
Selon Mansour Dao, les conseillers de Kadhafi n'avaient cessé de lui
recommander de quitter le pouvoir et s'exiler, mais il avait refusé,
disant vouloir mourir sur la terre de ses ancêtres. «J'avais de la peine
pour lui parce qu'il avait sous-estimé la situation», confie-t-il. «Il
aurait pu partir, quitter le pays et vivre une vie heureuse.»
À Syrte, bombardée par l'OTAN et assiégée par les forces du CNT, Kadhafi
et son entourage étaient obligés de changer de cache tous les quatre
jours environ. Le groupe restait dans les limites du quartier «numéro
deux», trouvant refuge dans les maisons désertées par les habitants qui
fuyaient les combats.
«On avait peur des frappes aériennes et des bombardements», dit Mansour
Dao, tout en précisant qu'il ne pensait pas que Kadhafi ait été effrayé.
Les derniers jours, la nourriture commençait à manquer. Le garde du
corps avait auparavant précisé que les messages audio diffusés par
Kadhafi après la chute de Tripoli étaient enregistrés à Syrte et
transmis par téléphone satellite.
Mouatassim commandait les combattants loyalistes à Syrte, raconte encore
Mansour Dao. D'environ 350 au départ, il n'en restait plus à la fin que
150 à peu près, beaucoup s'étant enfuis.
Après 42 ans de règne despotique, Kadhafi pestait contre la perte du
pouvoir. «Il était stressé, il était réellement en colère, ça le rendait
fou parfois», observe son garde du corps. Mais «la plupart du temps, il
était juste triste et furieux». «Il pensait que le peuple libyen
l'aimait encore, même quand nous lui avons dit que Tripoli était
occupée.»
Karin Laub et Rami al-Shaheibi
Associated Press
Misrata, Libye
Associated Press
Misrata, Libye
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