LE PLUS. Alors que les nouvelles autorités libyennes ont annoncé la mort de Mouammar Kadhafi, Maxime Pinard, étudiant en droit international, explique que la transition démocratique ne sera pas forcément aisée.
Dans une précédente chronique,
j'avais repris les différents scénarios possibles suivant la chute de
Kadhafi, et émis de sérieuses réserves pour ceux évoquant une fuite à
l'étranger.
Selon les dernières informations dont nous disposons, et qui méritent
un jugement prudent en raison d'une possible désinformation et de mises
à jour fréquentes, Kadhafi serait mort ce matin
lors d'affrontements avec les forces du Conseil national de transition
(CNT). L’ex dirigeant libyen aurait tenté d’échapper aux forces ennemies
et son convoi aurait été attaqué. D’abord grièvement blessé, il aurait
succombé à ses blessures.
Une capture d'écran d'une vidéo tournée par un membre du CNT, le 20/10/11 (AFP PHOTO/STR)
Selon la chaîne d’informations Al Arabia, un de ses fils Moutassim
Kadhafi aurait été capturé vivant par les forces du CNT. Il semble
cependant établi que, comme on pouvait le présupposer, Kadhafi s’était
caché à Syrte, où il était assuré d’une certaine protection de la part
des habitants et des combattants de la ville qui le soutenaient dans
leur grande majorité.
Ceci explique d’ailleurs que Syrte soit le dernier bastion pro-Kadhafi à être tombé, après plus de deux mois d’un siège meurtrier et délicat pour les forces du CNT qui espéraient une victoire rapide.
Il est d’ailleurs intéressant de souligner la similitude frappante
entre le Colonel Kadhafi et Saddam Hussein, les deux dictateurs en fuite
s’étant réfugiés dans leur village natal, avant d’être tous les deux
retrouvés, à ceci près que Kadhafi semble avoir été pris par des forces
locales, alors que Saddam Hussein avait été capturé par les Américains,
avant d’être remis aux forces de sécurité irakiennes.
Quel devenir pour la Libye ?
A présent que la mort de Kadhafi semble se confirmer toujours plus,
on peut s’interroger quant au devenir de la Libye. Contrairement à ce
que certains pourraient penser, je ne crois pas que sa mort change
radicalement un processus de changement politique déjà entamé lors de sa
fuite. En outre, son pouvoir de nuisance s’était considérablement
affaibli, sa capture relevant davantage du symbole que d’une dimension
purement militaire.
Il ne faudrait pas enfin tomber dans une euphorie, légitime pour un
peuple qui a souffert, mais discutable si l’on fait de sa mort la fin
des problèmes du pays, et ce d’autant plus que le Colonel était le
ciment de l’unité de plusieurs tribus, ces dernières ayant des velléités
sécessionnistes pour certaines d’entre elles.
Le CNT va accueillir la mort de l’ex leader libyen avec une réelle joie,
c’est certain ; mais cela renforce-t-il pour autant sa légitimité ? Il
n’y a pas de réponse simple et sûre, et ce pour deux raisons
fondamentales : le CNT est un agrégat de groupes et d’individus à
l’histoire et aux objectifs politiques radicalement différents, certains
d’entre eux étant des démocrates convaincus tandis que d’autres ont
entretenu des liens étroits avec Al-Qaida par le passé.
Deuxièmement, la légitimité même du CNT pose problème car elle
provient principalement des puissances étrangères, la France étant la
première à avoir apporté son soutien à ce conseil. Ce dernier va à
présent concentrer aussi bien les attentions du peuple libyen que les
pressions des puissances étrangères qui demanderont le rétablissement de
la sécurité en Libye pour assurer indirectement la leur et qui surtout
vont se livrer à une guerre commerciale féroce pour obtenir des parts de
marché substantielles.
Des membres du Conseil national de transition à l'annonce de la mort de Kadhafi, le 20/10/11, à Syrte (PHILIPPE DESMAZES/AFP)
Les convoitises seront donc fortes et le CNT va devoir jouer finement
son rôle pour satisfaire aussi bien ses soutiens étrangers qui peuvent
le fragiliser facilement (par l’intermédiaire d’aides par exemple…) que
les attentes de son peuple, qui veut un changement radical de vie.
Cela doit passer par l’organisation d’élections nationales,
qui devraient faire l’objet d’un soutien logistique appuyé de l’ONU
pour éviter des fraudes et pour surtout remettre en marche une
administration corrompue et dans l’impasse depuis des mois.
Deuxièmement, même s’il s’agit d’un chantier titanesque et dont les
conséquences ne sauraient être visibles à court terme, le CNT doit
s’engager à réformer en profondeur l’économie du pays, en diversifiant
rapidement les sources de revenu qui jusqu’à présent provenaient
principalement des ressources énergétiques. Ce mouvement de réformes
permettrait surtout de créer de nouveaux emplois, dans un pays où la
jeunesse a souvent été délaissée, malgré son importance numérique
réelle.
Enfin, le CNT va devoir intensifier ses relations diplomatiques avec
ses voisins, aussi bien ceux qui ont vécu le Printemps arabe, que ceux
qui l’ont évité, à l’image du voisin algérien, dont les relations ont
trop souvent été houleuses.
Un tournant majeur de l'histoire libyenne
La Libye est à un tournant majeur de son histoire et les puissances
occidentales, après avoir occupé le terrain militaire, devraient se
focaliser désormais sur l’aide à la reconstruction et au renouveau d’un
Etat majeur dans la région.
Certes, la dimension sécuritaire est fondamentale pour les puissances
européennes qui craignent que la Libye devienne une base arrière du
terrorisme, mais considérer la Libye comme une menace serait une erreur
stratégique certaine, à un moment où le peuple libyen souhaite vivre en
paix et dans un cadre de droit réel.
A ce titre, l’Irak d’aujourd’hui montre que beaucoup reste à faire,
mais que des progrès certains ont été accomplis. Avec la mort du
Colonel Kadhafi se tourne une page sombre et sanglante de l’histoire de
la Libye. Le CNT et les futurs représentants légitimes du peuple ont les
ressources pour en écrire une nouvelle, mais les obstacles et les
menaces seront nombreux et difficiles à neutraliser.
La Libye va jouer d’ici un an son va-tout : elle peut tout aussi bien
devenir un modèle régional que sombrer dans des luttes fratricides
pouvant conduire au chaos.
source nouvelobs.com
Par Maxime Pinard Chroniqueur en géopolitique
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