Au pays qui prétend devenir le troisième pôle de biotechnologie dans…
quatre ans, les cancéreux attendent dix mois pour leur premier
rendez-vous.
“Pour des raisons liées à la maintenance, les rendez-vous (de
radiothérapie) sont fixés au mois de juin 2012 pour les malades qui se
présentent maintenant”, nous apprend, dans un bouleversant cri d’alarme,
le professeur Kamel Bouzid, chef du service d’oncologie médicale au
centre Pierre et Marie Curie d’Alger (CPMC) et président de la Société
algérienne d’oncologie médicale. “Sur 44 000 nouveaux cas de cancer
enregistrés chaque an en Algérie,
28 000 nécessitent un traitement par radiothérapie. Sur ces 28 000,
seuls 8 000 malades sont traités par radiothérapie, faute de moyens.
20 000 malades ne sont pas traités.”
Pour résumer, les cancéreux algériens sont abandonnés à leur sort.
Depuis 1994, la Sécurité sociale n’octroie plus de prise en charge pour
les malades du cancer, enfin pour les malades ordinaires, parce que pour
les élus de la rente, il est possible de se faire transférer pour une
appendicite. Mais pour le commun des cancéreux, la médecine n’existe
pas.
Du moins pour plus des deux tiers d’entre eux.
Inutile d’interpeller les tutelles concernées. Elles pourraient nous
exhiber les mesures pour répondre à tous les besoins de santé publique…
en 2014. Sinon, elles nous opposeraient les contraintes budgétaires et
nous expliqueraient la pénurie (qui, officiellement, n’existe pas) de
médicaments par la volonté patriotique de réduire la facture
d’importation de produits pharmaceutiques. Les consommateurs de
médicaments sont moins nombreux que les demandeurs d’huile et de sucre
qui, eux, ont aussi la santé pour manifester.
Mais il en va de la santé en Algérie comme de l’école : les décideurs
ne les subissent pas. Comment pourraient-ils s’offusquer de l’état de
secteurs qu’ils n’ont même pas l’occasion d’éprouver. Eux se soignent
dans les plus prestigieux établissements du monde développé et leurs
enfants s’instruisent dans les meilleures écoles de ce même monde. Le
processus de déclin des services publics est en rapport inverse avec la
tendance à la délocalisation du mode de vie du sérail. Notre pouvoir est
étranger à notre condition. Quand on mesure le chemin parcouru dans le
sens de la régression, de la médecine notamment, on peut conclure à une
véritable descente aux enfers. À titre d’exemple, l’Algérie était, après
l’URSS, une des trois écoles d’ophtalmologie dans le monde, avec
l’Espagne et Cuba.
D’éminents médecins, heureusement, font de la résistance avec les
moyens obsolètes ou insuffisants qui leur sont alloués. Ceux que les
conditions d’organisation et de rémunération n’ont pas encore
démoralisés ou poussés à l’exil ou vers l’exercice strictement
spéculatif de leur compétence.
Et c’est dans ce contexte de détérioration statutaire,
organisationnelle et scientifique que les dirigeants se cramponnent à
une gestion cosmétique d’un secteur aussi sensible, défendant une
conception politicienne de la décentralisation par le service civil et
discourant sur le futur rang glorieux de la recherche et de l’industrie
pharmaceutiques.
Il faut saluer, dans un tel contexte, la colère du professeur Bouzid,
qui nous rappelle que, dans un pays où la duplicité a touché jusqu’aux
secteurs humanitaires, le serment d’Hippocrate n’est pas tout à fait
mort.
M. H.musthammouche@yahoo.fr
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