mardi 11 octobre 2011

Algérie:Le sort scandaleux de nos cancéreux

Au pays qui prétend devenir le troisième pôle de biotechnologie dans… quatre ans, les cancéreux attendent dix mois pour leur premier rendez-vous.
“Pour des raisons liées à la maintenance, les rendez-vous (de radiothérapie) sont fixés au mois de juin 2012 pour les malades qui se présentent maintenant”, nous apprend, dans un bouleversant cri d’alarme, le professeur Kamel Bouzid, chef du service d’oncologie médicale au centre Pierre et Marie Curie d’Alger (CPMC) et président de la Société algérienne d’oncologie médicale. “Sur 44 000 nouveaux cas de cancer enregistrés chaque an en Algérie,

28 000 nécessitent un traitement par radiothérapie. Sur ces 28 000, seuls 8 000 malades sont traités par radiothérapie, faute de moyens.
20 000 malades ne sont pas traités.”
Pour résumer, les cancéreux algériens sont abandonnés à leur sort. Depuis 1994, la Sécurité sociale n’octroie plus de prise en charge pour les malades du cancer, enfin pour les malades ordinaires, parce que pour les élus de la rente, il est possible de se faire transférer pour une appendicite. Mais pour le commun des cancéreux, la médecine n’existe pas.
Du moins pour plus des deux tiers d’entre eux.
Inutile d’interpeller les tutelles concernées. Elles pourraient nous exhiber les mesures pour répondre à tous les besoins de santé publique… en 2014. Sinon, elles nous opposeraient les contraintes budgétaires et nous expliqueraient la pénurie (qui, officiellement, n’existe pas) de médicaments par la volonté patriotique de réduire la facture d’importation de produits pharmaceutiques. Les consommateurs de médicaments sont moins nombreux que les demandeurs d’huile et de sucre qui, eux, ont aussi la santé pour manifester.
Mais il en va de la santé en Algérie comme de l’école : les décideurs ne les subissent pas. Comment pourraient-ils s’offusquer de l’état de secteurs qu’ils n’ont même pas l’occasion d’éprouver. Eux se soignent dans les plus prestigieux établissements du monde développé et leurs enfants s’instruisent dans les meilleures écoles de ce même monde. Le processus de déclin des services publics est en rapport inverse avec la tendance à la délocalisation du mode de vie du sérail. Notre pouvoir est étranger à notre condition. Quand on mesure le chemin parcouru dans le sens de la régression, de la médecine notamment, on peut conclure à une véritable descente aux enfers. À titre d’exemple, l’Algérie était, après l’URSS, une des trois écoles d’ophtalmologie dans le monde, avec l’Espagne et Cuba.
D’éminents médecins, heureusement, font de la résistance avec les moyens obsolètes ou insuffisants qui leur sont alloués. Ceux que les conditions d’organisation et de rémunération n’ont pas encore démoralisés ou poussés à l’exil ou vers l’exercice strictement spéculatif de leur compétence.
Et c’est dans ce contexte de détérioration statutaire, organisationnelle et scientifique que les dirigeants se cramponnent à une gestion cosmétique d’un secteur aussi sensible, défendant une conception politicienne de la décentralisation par le service civil et discourant sur le futur rang glorieux de la recherche et de l’industrie pharmaceutiques.
Il faut saluer, dans un tel contexte, la colère du professeur Bouzid, qui nous rappelle que, dans un pays où la duplicité a touché jusqu’aux secteurs humanitaires, le serment d’Hippocrate n’est pas tout à fait mort.
M. H.
musthammouche@yahoo.fr

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