Arrestation d'Algériens dans les Aurès le 3 novembre 1954. AFP
A quelques mois du cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en juillet prochain, la commémoration du 1er novembre 1954, date de déclenchement de la Guerre d’Algérie, a une dimension particulière. Retour sur un moment fondateur qui demeure encore peu connu en Algérie comme en France.
C’était il y a 57 ans. Le 1er novembre 1954, une poignée d’activistes algériens déclenche ce qui va devenir la Guerre d’Algérie, l’un des conflits de décolonisation parmi les plus longs et les plus meurtrier du XXème siècle.
Un peu partout dans ce qui représentait alors trois départements
français (contrairement à la Tunisie et au Maroc qui n’étaient pas la
France mais des protectorats français), des bombes éclatent, des
récoltes sont incendiées, des poteaux électriques et téléphoniques sont
sciées et quelques commissariats sont attaqués ou font l’objet de
rafales d’armes automatiques. Au total, ces premiers actes armés, une
trentaine au total, font sept morts, dont l’instituteur Guy Monnerot tué
dans les Aurès en même temps qu’un caïd local, c'est-à-dire un
représentant de l’administration coloniale auprès des «musulmans» (lesquels ne jouissaient pas de la citoyenneté française).
Sept années et demi plus tard, le 5 juillet 1962, l’Algérie devient indépendante et «awel novambar»,
le premier novembre, sera dès lors un jour férié pour les Algériens.
Défilés militaires, programmes télévisés spéciaux (dont des «opérettes révolutionnaires»
ainsi que quelques films de guerre rediffusés à l’envie),
commémorations en tous genres sans oublier les réceptions officielles
organisées à Alger mais aussi à l’étranger (par les ambassades) marquent
une journée particulière dans la longue liste des dates emblématiques
de ce que les Algériens appellent «la Révolution» ou «la Guerre d’indépendance» et que les Français désignent par «Guerre d’Algérie».
Les «neuf historiques»
Pourtant, nombreux sont les Algériens, jeunes ou plus âgés, qui savent peu de choses de ce que fut l’acte liminaire de la Thawra (Révolution). L’une des raisons est liée au fait que l’insurrection fut organisée par neuf hommes, «les neuf historiques» dont ceux qui survécurent au conflit furent tous après l’indépendance, à une exception près, des opposants au régime de Houari Boumediene (au pouvoir de1965 à 1978, date de sa mort) et même de Chadli Bendjedid
(1979-1992). Difficile, en effet, de parler de l’action déterminante
d’hommes dont le nom a longtemps été absent et interdit des manuels
scolaires algériens…
Montage
de photos d'archives de huit des neuf "chefs historiques" du FLN
(Front de Libération nationale) initiateurs du déclenchement de
l'insurrection en Algérie le 1er novembre 1954. AFP
Dans les faits, tout commence en mars 1954 quand Mohamed Boudiaf (dans l’opposition dès 1963, assassiné en 1992 à Alger) crée le Comité révolutionnaire d’union et d’action (CRUA) avec Hocine Aït Ahmed (actuel dirigeant du Front des forces socialistes, FFS), Ahmed Ben Bella
(ancien président de l’Algérie entre 1963 et 1965, déposé par
Boumediene, il sera longtemps interné avant de prendre le chemin de
l’exil), Krim Belkacem (assassiné en 1970 à Francfort) , Mostefa Ben Boulaïd (mort au maquis en 1956), Larbi Ben M’Hidi (exécuté sans jugement par l’armée française en 1957), Rabah Bitat (plusieurs fois ministre sous Boumediene), Mourad Didouche (mort au maquis en 1955) et Mohamed Khider (assassiné en 1967 à Madrid). A l’époque, le mouvement nationaliste est divisé. Un violent conflit oppose le leader historique Messali Hadj au Comité central de son parti, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques
(MTLD). Pour les «neufs», l’objectif est de forcer le destin en
renvoyant dos-à-dos les partisans de Messali, accusé de culte de la
personnalité, et les «centralistes» menés par Hocine Lahouel. D’abord prévu pour le 15 octobre, le déclenchement de l’insurrection n’a finalement lieu que le 1er novembre et, fête des morts chez les Européens oblige, prendra vite le nom de «Toussaint rouge».
Les
moyens militaires dont disposent les insurgés sont alors faibles pour
ne pas dire insignifiants. D’ailleurs, nombre d’entre eux sont très vite
arrêtés et certains resteront en prison jusqu’à l’indépendance. Il
n’empêche, un brasier était allumé qui devait, entre autre, conduire à
la fin de la Quatrième république et au retour du Général De Gaulle au
pouvoir en 1958. Le 1er novembre 1954 constitue ainsi l’acte
de naissance du Front de libération national (FLN) qui va mener
l’Algérie à l’indépendance. Et il faut relire son appel au peuple algérien
diffusé quelques jours après le début de l’insurrection. Dans ce texte
fondateur, «l’indépendance nationale» fait figure d’objectif de même que
le «respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de
races et de confessions» et la «réalisation de l’Unité nord-africaine
dans le cadre naturel arabo-musulman».
Un aveuglement français
Côté français, ces événements passent presque inaperçus.
Il faut dire qu’ils vont aussi à l’encontre d’une certitude partagée
par de nombreux hommes politiques et journalistes. Dans un contexte
international et régional d’ébullition anti-coloniale (Vietnam, Tunisie,
Maroc,…), tous sont persuadés que «l’Algérie ne bougera pas» et que les massacres de Sétif et Guelma
pendant le Printemps 1945 (plusieurs milliers de musulmans tués après
avoir réclamé l’indépendance et s’être attaqués à des Européens)
dissuaderont pour longtemps les «musulmans» d’avoir recours à la violence pour améliorer leur sort et encore moins pour réclamer l’indépendance.
Un
homme, pourtant, a vu venir cette insurrection. Il s’agit de Jean
Vaujour, directeur de la Sûreté en Algérie. En poste dès 1953, bien
informé, recoupant les rapports de police faisant état d’un activisme
suspect de la part de «séparatistes», anciens membres de
l’Organisation secrète (OS, à ne surtout pas confondre avec l’OAS) –
mise en place par les nationalistes algériens à la fin des années 1940,
elle préparait la lutte armée avant d’être démantelée par la police
française – il alerte en vain ses supérieurs à commencer par François Mitterrand, alors ministre de l’intérieur.
Ironie
de l’histoire, Jean Vaujour racontera plus tard que ses services
avaient même fabriqué et fourni des bombes bruyantes et inoffensives à
des réseaux qu’ils avaient infiltrés! Il faudra attendre plusieurs mois
avant que les autorités françaises prennent la mesure de la gravité de
la situation en engagent des moyens considérables pour en finir avec «la rébellion».
Une histoire que le cinéma n’a toujours pas racontée
Comme nombre d’épisodes de la Guerre d’Algérie, le 1er
novembre 1954, et avec lui la crise politique qui a mené à l’éclatement
du MTLD et à la naissance du FLN reste encore à raconter au cinéma
(mais aussi à travers la littérature). On imagine une fresque historique
mettant en présence les «neuf historiques», leurs doutes, leurs
rivalités déjà naissantes, l’aveuglement et la désinvolture des
autorités gouvernementales à Paris cela sans oublier le rôle influent de
Nasser ou les calculs politiciens de Charles de Gaulle.
Un point de départ pourrait être la fameuse photo de six d’entre eux
(les six historiques) prise quelques temps avant le déclenchement de
l’insurrection. Pourtant rien de tel n’existe encore. Rien à voir avec
les centaines de films américains qui traitent de la guerre au Vietnam
(et qui commencent à raconter – certes, à leur façon - celle d’Irak).
Côté
français, la Guerre d’Algérie reste un thème à manier avec précaution.
On imagine mal, y compris en 2011, c’est-à-dire cinquante ans après
l’indépendance, des producteurs prendre le risque de mettre en scène des
personnages historiques du FLN.
Et quand le 1er
novembre est mentionné, c’est toujours de manière anecdotique, pour ne
pas dire ridicule, comme en témoigne un passage du film «Le grand Charles» qui traite de l’itinéraire de Charles de Gaulle. La séquence consacrée au 1er novembre 1954 met ainsi en scène l’attaque du bus où se trouvaient le caïd et l’instituteur Monnerot.
Les
maquisards (qui s’expriment en arabe marocain…) y ont des têtes de
Talibans, notamment leur chef, barbu et coiffé d’un chèche noire, ce
qui, outre le caractère anachronique du raccourci, en dit long sur la
manière dont, en France, on représente souvent le FLN…
Côté
algérien, et malgré une profusion de scénarios, c’est une question de
manque de moyens mais aussi de circuits de distribution quasiment
inexistants. Longtemps considéré comme une priorité – à condition de ne
pas aborder les thèmes déplaisants au pouvoir en place -, le cinéma
algérien est dans un état d’agonie prolongée.
Peu de producteurs,
des salles en déshérence et une disparition progressive du
savoir-faire, ce cinéma a un besoin urgent de projets pour raconter à
son peuple une autre histoire que celle qui peut lui parvenir du nord de
la Méditerranée. Dans quelques années, peut-être, sera annoncé un film
ayant pour titre, «les neufs historiques»…
Akram Belkaïd
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